
A Barbie Land, vous êtes un être parfait dans un monde parfait. Sauf si vous êtes en crise existentielle, ou si vous êtes Ken.
A Doll Story
L’adaptation est une porte d’entrée assez méthodique pour certains. Pour d’autres, le tremplin marketing ne fait aucun doute. Les exemples dans les jeux vidéo se sont multipliés ces dernières années. Détective Pikachu, Uncharted, Super Mario Bros., Gran Turismo pour le cinéma, puis Arcane et The Last Of Us en série. Et pour ce qui est des jouets pour enfants, Mattel sort l’arsenal. UNO, Hot Wheels, Magic 8-Ball et Polly Pocket sont en développement dans les couloirs hollywoodiens et la firme de la célèbre poupée pailletée et en PVC garantit sa part du gâteau, en choisissant finalement Greta Gerwig et son mari Noah Baumbach pour scénariser non pas l’histoire d’une poupée, ni celle d’une princesse, mais bien d’une femme, dont l’idéal est questionné avec ludisme.

Une chevelure dorée, un bronzage plastique pour un rendu aussi lisse que l’univers où elle réside, la Barbie originelle fête ses 64 ans d’existence. Depuis, la diversité avance au rythme que l’on tresse ses différents uniformes, car Barbie est universelle et touche tous les métiers sans évoquer de hiérarchie. Ce n’est qu’à l’apparition problématique de Ken, un compagnon de plage superflu et conditionné à aimer Barbie, comme Barbie est conditionnée à satisfaire l’idéal des jeunes filles. Passé une ouverture tout en débauche, parodiant 2001, l’Odyssée de l’Espace, il faudra supporter l’exigence d’un spot publicitaire, où la fiction va intimement provoquer une sensation de malaise dans cette comédie acide et assez inoffensive dans le fond. Barbieland s’ouvre à nous comme un monde artificiel, où le critère de beauté n’a de sens qu’en miroir de nos fantasmes.

L’australienne Margot Robbie se prête au jeu et dévoile son quotidien routinier et empoisonné par le désir de perfection, un peu comme Emmet dans La Grande Aventure Lego. Gerwig reprend alors fidèlement l’usage que l’on fait d’une Barbie, en s’immisçant dans l’esprit d’une enfant, une aire de jeu d’imagination, colorée, pop et magique. Sa cohabitation avec ses doubles est un phénomène de société que l’on ne développera pas, afin de la confronter à Ken, principalement campé par un Ryan Gosling dansant et chantant. Nous sommes ici bien plus proche du duo Barbie-Ken de Toy Story 3 que des films d’animation que Mattel a produits, dans une intention de merchandising à peine maquillée. La démarche ne diffère pas ici, mais Gerwig tente au mieux d’établir le portrait d’une femme, sans qu’un homme vienne dénigrer ses formes ou ses ambitions.

Son aventure coming-of-age sur Lady Bird et sa énième relecture peu enthousiasmante des Quatre Filles du Docteur March a de quoi nous interroger sur son efficacité, mais sa position féministe ne fait aucun doute et chacun de ses chapitres est pensé comme une ode à la sororité, à sa liberté et à suprématie. C’est sans doute là que se situe la limite d’un discours aussi radical, bien qu’on s’en amuse. Barbie vit une fête sans fin ou presque. Ken cherche un avenir sentimental avec Barbie et découvre la notion de patriarcat pour pallier son manque de virilité, d’où la représentation du cowboy qui le suit. Leur interaction directe avec notre réalité alimente des débats encore chauds, notamment lorsqu’il s’agit de scanner les corps des personnages, révélant ainsi toute la misogynie ambiante, passive et agressive.

Candide jusque dans ses pensées morbides, Barbie est une poupée que l’on manipule à sa guise. Ce modèle est réinterprété avec pédagogie, bien trop sérieuse pour s’adresser aux enfants et bien trop cynique pour que les gags soient pertinents. Barbie reste cependant un acte inspirant pour Gerwig, qui déjoue nos attentes en matière de perfection, une croisade qui invite l’héroïne à mûrir et à devenir une femme. Elle est même prête à employer le langage de la comédie musicale pour se faire entendre, ce qui est loin d’être à son avantage de ce côté-là. L’enrobage a ainsi tendance à étouffer les envolées lyriques du récit, plutôt instructif, pas très imaginatif et dont l’humour arrache péniblement notre joie. Il n’empêche que l’on reste fasciné par les contradictions qui entourent les stéréotypes. Dommage que la théorie et la démonstration ne soient pas miscibles.

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