Iran 2001, une journaliste de Téhéran plonge dans les faubourgs les plus mal famés de la ville sainte de Mashhad pour enquêter sur une série de féminicides. Elle va s’apercevoir rapidement que les autorités locales ne sont pas pressées de voir l’affaire résolue. Ces crimes seraient l’œuvre d’un seul homme, qui prétend purifier la ville de ses péchés, en s’attaquant la nuit aux prostituées.


Le saint tribut

Note : 3.5 sur 5.

Si le cinéma permet toujours d’appuyer là où ça fait mal dans son positionnement politique, le dernier film d’Ali Abbasi suscite encore plus d’intérêt, à l’heure où le portrait de l’Iran continue son exil sur le grand écran. Il n’est plus étonnant de voir autant de sujets se multiplier à l’égard de femmes, victimes et soumises au patriarcat d’un pays qui en a fait un de ses piliers. La religion et la culture se confondent ainsi, au croisement d’une misogynie embarrassante. Rappelons que le cinéaste danois est d’origine iranienne et que son cinéma évoque les racines perdues au cours du temps. Le lien de parenté est devenu imposant dans ses récits, notamment lorsqu’il a commencé avec « Shelley » et prolongé l’effroi dans un thriller fantastique avec un « Border » triomphant à Un Certain Regard. On le soupçonnait déjà de sonder la nature humaine à travers des personnages qui se faufile dans la masse. Il revient ainsi avec une intrigue toute aussi cohérente, où la mise en scène du thriller gagnera en puissance.

Avec une thématique aussi contemporaine, il ne cherche pas forcément à justifier l’état d’esprit de l’Iran, mais plutôt à mettre les deux pieds du bon côté de la frontière, aux risques de secouer un essaim moral déroutant. L’atmosphère de l’étrange n’est plus, car on s’installe astucieusement du côté d’un tueur, qui prône le féminicide comme un acte religieux fort et en accord avec une certaine justice divine. Saeed (Mehdi Bajestani) n’est pas non plus le maître de l’effroi qui peut rappeler le « Zodiac » de Fincher. Ici, il aura un visage, une vie. Il n’est qu’un père, qui aime en entretient sa famille comme il se doit. Mais ses activités louches, autour d’un mausolée, déclenchent des pulsions destructrices, qui grognent d’abord à travers le moteur de son deux-roues, avant de rétablir le silence. Et nous aurons beau tourner autour de ce personnage machiavélique, c’est toujours la femme qui reste l’enjeu principal du récit.

On ouvre avec la détermination d’une mère, à la fois résignée de sa situation, où aucun homme n’est à ses côtés pour la protéger. Ce sera soit pour en abuser, soi pour l’exterminer et cette radicalité peut choquer de ce côté de l’occident, mais il est également possible d’en avoir vu assez ailleurs pour se laisser emporter par une intrigue parallèle. Rahimi (Zar Amir Ebrahimi) est une journaliste qui enquête sur le phénomène. Sa présence est loin de la vérité historique, mais rassemble les maux d’une société qui ne laisse ni droits ni autonomie aux femmes. La désertion des hommes s’affiche comme une conséquence des violences faites aux femmes. Le discours est perceptible, mais faible dans les deux axes narratifs. Soit on se répète, soit on passe à une autre scène de meurtre pour rebondir sur l’âme de Saeed, qui se dégrade, mais qui renaît dans un dénouement particulièrement révoltant. C’est à parti de là que la matière gagne en densité, mais Abbasi ne lui consacrera pas assez de temps pour explorer ses étincelles de fureur, autour d’une société qui allume une mèche avec ses propres martyrs et qui défend la misogynie, dans son élan de folie.

« Holy Spider » (Les Nuits de Mashhad) n’est sans doute pas la plus prenante de ses œuvres, mais son efficacité n’est pas à bouder. Les quelques plans qui témoignent de l’immensité de la ville sainte nous ramène à l’inéluctable et une détresse évidente, laissant ainsi le spectateur désarmé et impuissant face à une haine qu’il redoute également. Un film coup de poing qui rappelle tous les combats menés dans l’Orient, où le voile ne masque pas assez le désespoir de mères, d’épouses et de femmes qui se soumettent au patriarcat sous toutes ses formes, afin de prolonger leur espérance de vie. Nous sommes ainsi sollicités à discerner la justice de la lâcheté, alors que l’ensemble tend vers un nihilisme absolu, où cette violence semble être un héritage acquis depuis très longtemps.


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