Je verrai toujours vos visages


Depuis 2014, en France, la Justice Restaurative propose à des personnes victimes et auteurs d’infraction de dialoguer dans des dispositifs sécurisés, encadrés par des professionnels et des bénévoles.


L’origine du mal

Note : 3.5 sur 5.

Comprendre et écouter sont deux aptitudes très distinctes. Parfois, elles ne font pas bon ménage et la réalisatrice de Elle adore et Pupille, Jeanne Herry, compte bien rebattre les cartes, afin que ces mots soient employés avec soin et avec bienveillance. Quelque part entre les réactions sanguines de Polisse et l’intranquillité de Hors Normes, cette dernière nous invite à laisser nos jugements aux vestiaires et de pénétrer dans un sas d’ouverture, de discussion et de réflexion. La violence y est ainsi décryptée, le long d’un cercle de victimes et de détenus, qui n’ont alors plus rien à perdre, mais qui ont tout à restaurer.

Un court briefing engage immédiatement le spectateur à une écoute inconditionnelle, à la hauteur de ses trois animateurs (Élodie Bouchez, Suliane Brahim, Jean-Pierre Darroussin), qui veilleront à préserver la trajectoire d’un processus auquel on aimerait croire. Sa pertinence dépend donc de ses presque deux heures de joutes oratoires, où chacun est libre d’exprimer son expérience, en tant que victime (Leïla Bekhti, Gilles Lellouche, Miou-Miou) ou agresseur (Dali Benssalah, Birane Ba, Fred Testot). Chaque détail aura son importance et chaque particule de poussière ou d’amertume dans la gorge seront retenus. La colère et l’incompréhension sont au service de cette fiction, où les interactions sont millimétrées. Nous ne pouvons qu’imaginer les peines causées et ainsi participer aux séances en huis clos qui se tiennent, avec l’idée d’une réinsertion sociale à double sens. Il s’agit de surmonter ses peurs ou de reconnaître ses responsabilités, c’est pourquoi chacun possède son propre combat intérieur.

Mais la véritable force du récit se trouve dans le groupe, dans le collectif qui unit les uns aux autres, non pas par leur désagréable expérience passée, mais bien par leur soutien mutuel dans leur quête de rédemption. On sent que le sujet de la justice restaurative a rigoureusement été documenté, afin d’éviter un malencontreux retour de bâton. Les confessions vont et viennent, se complètent, se rattrapent et se dissipent pour ne laisser place qu’à l’avenir. Et au centre de ce cercle, de plus en plus vertueux, on prépare un face-à-face méthodique et adapté à la résilience que Chloé (Adèle Exarchopoulos) souhaite. Ce fil rouge peut freiner l’élan du premier groupe, qui se veut transparent sur les visages et les émotions qui en ressortent. Cependant, cela offre également l’occasion de nous familiariser avec l’intimité de cette femme, détruite par les souvenirs que son frère aîné lui a laissés. Se rencontrer pour mieux s’éloigner semble être la devise de cet axe, qui a également vocation à refermer les portes des traumatismes.

Il n’y a donc plus Douze hommes en colère dans la même pièce et du même côté. Il s’agit ici de compenser avec la parole de la défense et tout le monde est invité à investir ce rôle, à un moment où un autre. Je verrai toujours vos visages pèse ses mots et les relâche avec une justesse qui va droit au cœur. Les actes solidaires illuminent cette fausse idée des criminels que l’on empile dans une cage de béton. Si certaines infractions sont condamnables, Jeanne Herry ne recule devant rien pour nous prouver que tout n’est pas perdu en ce monde, rongé par la culpabilité et une escalade de haine contre soi, contre sa vie et contre sa propre mort.


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