Chicago, dans les années 1920. La « Reine du blues » Ma Rainey, enregistre un nouvel album studio. Des tensions surviennent entre la chanteuse, son agent et producteur blanc et ses musiciens…

L’Imperméable émotion

Note : 3 sur 5.

Près de trois ans après « La Vie immortelle d’Henrietta Lacks », George C. Wolfe trouve refuge dans une autre pièce d’August Wilson, où Denzel Washington nous avait déjà introduit un « Fences » maladroit. Ici, la mise en scène, sans être flamboyante, rend davantage service au huis clos, qui s’amuse à donner de l’élan à des conflits que nous connaissons que trop bien. Même s’il n’est pas surprenant de retrouver des thématiques raciales et sociétales de la communauté afro-américaine sur une plateforme qui prône la diversité, il restera encore du chemin avant de rendre l’ensemble aussi percutant que séduisant. Trop bavard et pas assez spontané, le film souffre du format de théâtre filmé, si bien que les émotions ne peuvent diffuser leur subtilité de notre côté de l’écran.

Pourtant, les signaux commençaient à prendre forme et à prendre vie, lorsqu’on nous dévoile la figure emblématique de la mère du blues sur sa scène. Le caractère de Ma Rainey (Viola Davis) nous évoque ainsi une combattivité des plus admirables. Et dans cette même lancée, il est possible de percevoir une détresse ou une forme d’ivresse qu’elle transforme en force, à travers ses paroles et son indépendance, aussi bien sous le projecteur qu’en-dehors. Il suffit de la voir s’imposer dans des conflits avec son manager et son producteur, pour qui le business de la voix est unidirectionnelle. La fièvre du racisme baigne ainsi le décor des années 20, dans une Amérique encore sous l’emprise d’une incompréhension à la culture d’autrui. A la place, on se permet de s’approprier la matière grise, en laissant le talent crouler et se faire piétiner par la névrose des soumis.

Le devoir de patrimoine hurle donc son chant du cygne, à l’image du regretté Chadwick Boseman, dont l’interprétation du trompettiste Levee transpire d’émotion. Lui, qui chausse d’une ambition des plus prometteuse, subit le revers des lois de son monde. De sa colère, naît des aveux émouvants, liés à ses traumatismes et à son rapport à la foi. Et malgré les portes qu’il parvient à ouvrir, l’espoir ne dure qu’un temps, avant qu’il ne rebrousse chemin dans la dure réalité où il évolue à peine. Ce qu’il faut comprendre, c’est bien entendu la déroute des droits civiques qui pèse dans l’esprit du jeune homme, fier de ses perspectives, fier de ses souliers. Des mots et du réconfort qui viennent de la chair, donc. Ce morceau semble tout de même poursuivre sa route, encore jusqu’à aujourd’hui, s’inscrivant de plus en plus dans les mœurs, comme nécessité et comme testament.

Entre ces deux personnalités, qui campent amèrement des positions justifiées, il y a de quoi bâtir une symphonie cathartique, à défaut de songer à une harmonie des plus prospère. Mais comme chacun exerce son droit d’imposer sa culture et ses motivations, « Le blues de Ma Rainey » (Ma Rainey’s Black Bottom) empoigne ce sens de cette révolte, occulter par un affreux épilogue, dont la radicalité transperce le cœur et l’âme de ceux qui ont composé dans leur sang toute leur vie. Mais au-delà des faux-semblants, il reste une partition des plus tendre qui ne parvient pas à exalter, malgré une narration qui suit le rythme du Black Bottom. Les protagonistes sont bien trop statiques dans ce qu’ils cherchent à véhiculer, quand bien même les enjeux méritent d’être débattus.

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