Oppenheimer


Biopic sur J. Robert Oppenheimer, le “père de la bombe atomique” pendant la Seconde Guerre mondiale.


Entre fusion et fission

Note : 3 sur 5.

Martin J. Sherwin et Kai Bird ne pouvaient pas mieux résumer la trajectoire d’un scientifique qui a bouleversé l’équilibre. Leur biographie American Prometheus : The Triumph and Tragedy of J. Robert Oppenheimer évoque la foudre de Zeus que le Prométhée moderne aurait arraché de l’Olympe. L’analogie est plus que signifiante sachant les évènements historiques qui succèdent à la création de l’arme nucléaire, outil de dissuasion par excellence, propageant terreur et paranoïa de part et d’autre du rideau de fer de la Guerre Froide. La course à l’armement a toujours été une nécessité dans le dénouement des conflits les plus meurtriers. Cela ne pouvait que stimuler Christopher Nolan et son engouement pour la science. Le Prestige en a détourné les codes, Inception les a éveillé, Interstellar en a démontré la radicalité et Tenet les a broyé à reculons. Le temps est bien de dénominateur commun dans ces exemples plus ou moins aboutis, que ce soit dans la fluidité de sa narration ou bien dans les thématiques qui le hantent. Le savoir aux commandes du Projet Manhattan à travers la loupe intime d’Oppenheimer ne peut que nous réjouir. La course contre la montre est lancée !

Un gros bon dans le temps après Dunkerque, le cinéaste rachète des bobines de 70 mm pour l’occasion d’un portrait atypique. Robert Oppenheimer est un physicien théoricien, c’est dans sa nature d’évaluer et d’explorer les possibilités de la physique quantique notamment. Ce qui l’interpelle depuis sa jeunesse universitaire, c’est bien la décomposition énergétique et chimique, que Nolan met en scène au milieu des conversations. Le but étant de s’approcher de sa psyché et de sonder la figure que l’on a longtemps médiatisée comme un ange de la mort. Sauveur ou bourreau de l’humanité, le réalisateur britannique étudie les deux éventualités au détour de deux chapitres distincts, qui font autant écho à la conception de la bombe à hydrogène que ses conséquences, à savoir la fusion et la fission.

Jeune, ambitieux et intelligent, Oppenheimer (Cillian Murphy) souffre néanmoins des interactions humaines, en cherchant sans cesse des atomes crochus avec ses conquêtes. Deux femmes comptent réellement pour lui, mais ce sera son épouse Kitty (Emily Blunt) qui aura le dernier mot, malgré le soutien émotionnel qu’elle constitue et que l’on développe finalement assez peu. Cette dernière se trouve reléguée au foyer plutôt que dans la blouse d’une biologiste ou sous la cape d’une activiste. On jongle sans cesse d’un point de vue à l’autre, en mélangeant la tonalité des dialogues, avec un noir et blanc qui annonce les prémices d’un procès contre l’individu à l’origine d’un désastre. Pourtant, avant même d’en arriver au plaidoyer, il est nécessaire de comprendre la position de Nolan et des auteurs sur cet homme. Ce film n’est pas une réponse à sa gloire et encore moins un acte désespéré afin de pardonner aux génies qui ont permis de mettre fin à la Seconde Guerre mondiale. Ce film est un long et lent déroulé sur la condition humaine, s’adressant houleusement aux responsables qui ont ouvert le chapitre d’un terrain de jeu nucléaire.

Dans la ville éphémère de Los Alamos, Oppenheimer va peu à peu fédérer tout un cortège de scientifiques, à la manière d’un Lawrence d’Arabie, autour d’une arme de destruction qu’il ne soupçonnait pas aussi massive. Le récit prend le temps de mûrir jusqu’au grondement de l’essai décisif Trinity, le 16 juillet 1945 dans le désert du Nouveau-Mexique. La double déflagration et mise en garde qui s’ensuivent sur Hiroshima et Nagasaki restent hors-champ, hors de la tête d’un homme dont la culpabilité commence alors à germer. Un montage ivre de fluidité délaisse une part de la dramaturgie derrière lui et c’est ainsi tout du long malgré quelques interprétations fulgurantes, en pensant fortement à Robert Downey Jr. ou encore Casey Affleck. Les brefs détours par les institutions européennes servent davantage à cocher des faits historiques, mettant en retrait le scientifique, que l’on propulse de force dans un milieu politique, où son opinion est contrôlée, tout comme ses fréquentations qu’elles soient bonnes ou mauvaises. La seconde moitié s’attarde ainsi sur les retombées médiatiques et radioactives à l’encontre du chef de projet, celui qui partage le même fardeau qu’Albert Einstein.

Si tout ce qui ne tue pas rend plus fort, que dire de la bombe atomique ? Le physicien emprunte mot pour mot la volonté de Nietzsche, en auscultant l’adversité comme un outil de dépassement de soi. Malgré tout, toute la résistance à ce sujet entraîne de nombreux points de rupture dans sa vie affective. Nolan voit en Oppenheimer une magnifique allégorie de l’implosion, cependant un peu trop didactique pour qu’on soit pleinement convaincu. Seule la partition musicale de Ludwig Göransson trouve le bon tempo pour s’accorder aux incertitudes du nouveau prophète, qui abandonne peu à peu son uniforme de physicien.


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3 commentaires

  1. Un grand bon dans le temps, comme tu dis. Un très bon dirais-je même 😉
    Je n’ai pas trouvé cela trop didactique, bien au contraire. Certes il faut un minimum de lisibilité lorsqu’on s’attèle à un sujet si ardu, mais il y a néanmoins dans cet éclatement biographique la volonté de couvrir une large zone de son existence, sans toutefois espérer en atteindre l’insondable profondeur. Passé ce film, Oppenheimer se dissimule encore et toujours dans le turbulences infernales de l’explosion atomique. Nolan aura su nous néanmoins, et avec le brio qui le caractérise, nous rappeler dans quel monde nous vivons depuis.

    • J’ai apprécié cette narration, parallèle au champignon atomique qui se forme et qui se dissipe apr la suite. Tout ça à travers le regard mutilé d’Oppenheimer, un homme mutilé par sa propre existence, sa propre composition chimique et énergétique. En cela, Nolan traduit magnifiquement un sentiment d’implosion de l’humanité. Je trouve les contre-interrogatoires didactiques notamment, avec de petites métaphores et autres hallucinations dont on aurait pu s’en passer.
      Bien évidement, je te rejoins sur l’éventail biographique. Peut-être que je me suis tenu trop loin de la zone d’impact pour en apprécier ses vertus. 🙂

      • Je vois ce que tu veux dire sur les “métaphores” pendant l’interrogatoire. Je les ai personnellement ressenties comme la continuité de ces plans tout du long montrant la connexion du personnage avec le monde physique. Ils sont aussi l’émanation de son état mental. Nolan à toujours pratiqué un cinéma du ressenti et je trouve qu’il s’y emploie à nouveau très bien ici.
        Reste qu’il y a beaucoup d’informations à gérer en effet durant ces trois heures et, comme souvent avec Nolan, “Oppenheimer” invite à une seconde lecture.

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