
Huit individus éparpillés aux quatre coins du monde sont connectés par une soudaine et violente vision. Désormais liés, ils se retrouvent capables du jour au lendemain de se voir, de se sentir, de s’entendre et de se parler comme s’ils étaient au même endroit, et ainsi accéder aux plus sombres secrets des uns et des autres. Les huit doivent dès lors s’adapter à ce nouveau don, mais aussi comprendre le pourquoi du comment. Fuyant une organisation qui veut les capturer, les tuer ou faire d’eux des cobayes, ils cherchent quelles conséquences ce bouleversement pourrait avoir sur l’humanité.
L’union fait la différence
Il est rare d’obtenir une aventure si envoûtante, où les décors et les personnages se multiplient pour interagir de façon indirecte. Et pourtant la formule réussit aux sœurs Wachowski, ainsi que du troisième showrunner J. Michael Straczynski, qui sont toujours braqués par des critiques, peu satisfaits dernièrement. Elles renouent avec le succès sur petit écran, bien que la scène qu’elles développe nous emmène au-delà des frontières que nous connaissons. La matière grise fait l’objet d’une science-fiction poussive, mais surprenante dans sa mise en perspective. Ce n’est pas le principe, mais le procédé de communication qui nous séduit. Il en résulte une aventure captivante, où huit anonymes, éparpillés dans le monde, sont destinés à partager tout ce qu’ils sont et tout ce qu’ils convoitent entre eux.

On voyage, on découvre et recouvre le tout avec une intrigue, huilée de péripéties où l’axe secondaire perd tout son sens. Chaque événement que le cercle d’étranger vit est partagé et personne n’est laissé sur la touche. La subtilité des « sensitives » que l’on présente permet donc de faire intervenir les protagonistes sur différentes situations, qu’elles soient délicates ou non. On prend ainsi un malin plaisir à s’attacher à eux alors qu’ils expérimentent peu à peu leur capacité de projection. Entre temps, chacun doit affronter ses démons et cela se réfère souvent à une crise identitaire. La thérapie familiale chez les personnages est une sorte d’analogie à la situation de conflit entre les réalisatrices et leur famille. Le message est clair et mérite de souligner que la différence importe peu, du moment que l’humain qu’il y a dernière résonne comme il le faudrait, avec respect et humilité. Chez certains personnages, notamment les femmes, la recherche permanente d’un soutien moral et paternel est à l’œuvre.

On n’hésite pas à tirer sur l’humour et certains personnages s’y prêtent à merveille. Il en va de même pour le respect des cultures de chaque protagoniste, que ce soit dans le langage, le comportement ou la mentalité. On s’amuse à suivre leur développement avec attention, tout en résolvant un puzzle aux enjeux mystérieux. Mais globalement, nous suivons un groupe plutôt combattif, mais avant tout victime de leur état initial. Ce que chacun tente de combattre, c’est le mal de la personnalité qui l’habite. Le fait de superposer plusieurs connexions avec d’autres sensitives permet d’accéder au traitement psychologique de la personne en question. La quête identitaire prend un sens nouveau ici, grâce à ce récit surréaliste et pourtant crédible par bien des aspects. Les limites de mise en scène ne pèsent pas non plus sur le style d’écriture intuitive que valorisent les Wachowski. De la famille, en passant par la politique, la violence, le mariage et la corruption, on en vient à généraliser l’état d’esprit du moment. Cette parenthèse a pour but de prendre conscience que l’on peut surmonter nos différences par l’écoute et la patience. Cependant, le deux ne va pas toujours de pair, ce qui profite à l’action et aux scènes de tensions mettant en danger nos héros.

Le méchant du récit est davantage un système, avec des solutions radicales et médicales. Or, son implication inquiète ce petit groupe soudé que l’on apprend peu à peu à complexer avec nos propres sens. Quelque part, le spectateur est le neuvième sensitif du groupe. Passif, il ne fait qu’observer sans participer aux actions. Mais lorsque l’émotion entre en scène, le partage est immédiat. On ressent aussi bien la détresse que la joie de chacun, on fusionne avec eux et leur pensée, car la narration est construite à partir de cette connexion interne. Ce qui est navrant, c’est de tourner en boucle à certains moments et de trop freiner sur les leçons de vie qui se répètent sans cesse. Cette démarche bourrative ne permet pas d’exploiter la totalité des thèmes dans une bonne durée. En échange, la patience est troquée par un abus de burlesque dont on souhaiterait se passer, une fois que les enjeux prennent réellement forme. On évite le sujet sensible et l’on manipule le spectateur par des artifices, parfois grossier, mais qui font tout le charme de cette passionnante série.

Concernant le dénouement de « Sense8 » que Netflix a subitement interrompu, il s’agit d’une grande frustration, sachant que la majeure partie de l’œuvre manque à l’appel. L’ouverture provoque un désaccord total chez les fans de tout part, comme des simples spectateurs encore sceptiques du concept. Or, le coût résume à lui seul la raison pour laquelle le fantasme que vivent les personnages se reflète à nos attentes démesurées, qui peine à obtenir satisfaction. Finalement, armée de motivation et de courage, la solitude bat des ailes pour enfin s’affirmer et s’approprie une identité que l’on attendait depuis un moment chez les Wachowski.

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