Cette saga sur le crime organisé dans l’Amérique de l’après-guerre est racontée du point de vue de Frank Sheeran, un ancien soldat de la Seconde Guerre mondiale devenu escroc et tueur à gages ayant travaillé aux côtés de quelques-unes des plus grandes figures du XX° siècle. Couvrant plusieurs décennies, le film relate l’un des mystères insondables de l’histoire des États-Unis : la disparition du légendaire dirigeant syndicaliste Jimmy Hoffa. Il offre également une plongée monumentale dans les arcanes de la mafia en révélant ses rouages, ses luttes internes et ses liens avec le monde politique.


Au carrefour de la confession

Note : 4.5 sur 5.

Nous le sentions un peu solennel avec « Silence », mais Martin Scorsese confirme sa grande forme avec ce nouveau bijou, pourtant proche du nouveau-né, dans le bon sens du terme. Martin Scorsese arrive à un âge où il commence réellement à faire face à son passé, sa carrière en tant que cinéaste, mais en profite également pour faire le point sur toute l’industrie qui lui a permis tant de succès et de réconfort. Sur un arrière-plan mafieux qui ne parle sans doute plus aux grands producteurs de nos jours, il trouve le réconfort d’exploiter son art comme il le souhaite et avec la manière dont un « Roma » a su convaincre par son élan artistique et dramatique. Ici, le regret semble s’emparer de la toile de fond, notamment autour d’un personnage dont on appréhende les paroles comme un mythe. Mais finalement, est-il si important de trouver une conclusion ou une réponse à tout cela ? Scorsese nous invite à voir plus loin, à laisser la porte ouverte et c’est bien dans ces mots qu’il saura captiver son public.

Nous avons à faire à un style presque anti-Scorsesien en abordant le récit avec des flash-backs à flot et avec un rythme quasi-immobile. Et c’est pourtant là que réside la force du film. La longueur justifie toutes ces époques que l’on traverse. On prend le temps de nous immerger dans les affaires mafieuses, de politique et des syndicats pour bien nous alpaguer dans un final que l’on découvre au même moment que la communauté de bad guys qui est brossée. Nous suivons donc essentiellement un Frank Sheeran (Robert De Niro) au bout de son parcours et au carrefour de la confession, comme s’il y avait quelque chose à se faire pardonner. En tutoyant les grands du « milieu », que ce soit Russell Bufalino (Joe Pesci) ou Angelo Bruno (Harvey Keitel), nous comprenons petit à petit où l’œuvre souhaite déboucher, mais sans en connaître la délicieuse manœuvre qui se profile. Frank est toujours au second plan et reste un intermédiaire redoutable. Il est un bouc émissaire du chaos, mais ne s’en vante pas, car il comprend sa place dans l’œuvre, tout comme le réalisateur connaît la sienne dans le cinéma.

Impossible de dissocier les deux, lorsque l’on saisit la portée du metteur en scène, en matière de générosité. On fait rapidement un contraste avec ce temps qui ronge Frank dans sa zone de confort et qui abandonne une partie de lui-même au milieu de son ascension, au milieu de la réponse sur son existence ou son degré d’implication dans un monde qu’il ne peut contrôler. Oui, il s’agit bien d’un jeu de pouvoir, mais qui est réellement en position de diriger et qui serait en position de négocier ? On pense immédiatement à Bufalino, patient et attentif, contrairement à Jimmy Hoffa (Al Pacino), pourtant à la tête d’un syndicat ravageur. Ce dernier est toujours présent lorsqu’il s’agit d’influencer son entourage et on découvre que son empathie ou sa cruauté n’est pas son atout premier. Ce sont sur les multiples détails qui nous conduisent fatidiquement au dénouement qu’on prendra pleinement conscience de sa place dans cet univers, car de toute évidence, il vit dans le fantasme. Le tour de force prend ainsi le spectateur qui aura pris le temps de grandir et de s’alimenter auprès d’hommes capricieux, mais qui ne manque pas de manières pour s’imposer.

« The Irishman » ne sonne pourtant pas comme le glas prétendu et attendu. Aussi surprenant soit-il, il reste encore des pistes à explorer pour Scorsese et sa troupe de comédiens charismatiques et captivants. En usant habilement d’une narration statique, mais fluide, on ne se perd jamais dans les débats. On nous a invités à une excursion ludique et impitoyable, où la loi et les hommes se confondent. Le film d’époque a également permis au réalisateur, depuis de nombreuses années, d’éviter d’être pollué par les contraintes du contemporain, celui qui demande toujours de se raccrocher au présent et de le contextualiser. Il en apprécie les nouveautés techniques, mais il y voit surtout de l’avenir derrière cette démarche et brosse ce qui lui reste pour sa postérité, sans forcément renoncer au requiem qui guette ce monument du cinéma jusqu’à sa prochaine apparition.


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