Un homme veut parler. Il demande à une amie journaliste de l’interviewer pour y voir plus clair. Cela fait deux ans qu’il vit une passion totale, charnelle, littéraire avec une grande écrivaine beaucoup plus âgée que lui. Il veut mettre des mots sur ce qui l’enchante et le torture. Il va décrire leur amour, son histoire, et les injonctions auxquelles il est finalement soumis évoquent celles que, depuis des millénaires, les femmes endurent.


Barrage contre les sentiments

Note : 3 sur 5.

Claire Simon excelle dans l’idée d’une narration, proche des faits et proches des émotions que pourraient dégager ses sujets. Que ce soit dans le cadre d’une redécouverte mystique des bois de Vincennes (Le Bois dont les rêves sont faits), un « Concours » intergénérationnel, la circulation soutenue et pourtant éphémère de banlieusards (Géographie humaine) ou le microcosme d’une cour de « Récréations », la cinéaste finit par percer la douce réalité, à la force d’un regard et d’un point de vue qui épouse l’intensité du moment. Ce sera pourtant avec une fiction qu’elle nous revient, huit ans après « Gare du Nord ». Il s’agira cette fois-ci d’adapter cinématographiquement une interview, un dialogue, dont la lucidité et la sincérité mérite l’écoute et sa pleine restauration à travers l’objectif d’une caméra.

Ce n’était pas chose aisée, mais le résultat tient ses promesses, quand il s’agira de rendre hommage à au fantôme de Marguerite Duras, présente par à-coups, dans cet échange entre son dernier compagnon, voire amant, et une amie journaliste de ce dernier. « Je voudrais parler de Duras » semble reprit au mot et c’est au détour d’une fascination de la relation amoureuse et littéraire que Yann fut pris à partie. Des lettres de fan qu’il écrit à l’autrice ou de son béguin littéraire pour l’élan de ses sentiments, il revient sur ce qu’on lui aura autant arraché que préservé, à commencer par son nom. Lemée disparaît pour ne laisser que Yann Andréa dans la bouche et les oreilles des autres. Un ouvrage se consacre d’ailleurs à son cas, cet amour d’été à Trouville dans « Yann Andréa Steiner ».

Puis ce sera l’image de son corps et de son âme qui se brisent peu à peu, où Swann Arlaud campe un Yann, encore désorienté par la désolation de l’écrivaine et de celle qui l’a quelque peu sortie de la solitude. Il affronte ainsi son passé et confronte même chaque instant où Duras aurait pu le rabaisser et le blesser, comme pour justifier le degré d’amour qui les séparait. Pourtant, il rapporte que son point de vue n’a pas pu s’exprimer, pas avant l’interview, qui sonde l’emprise d’une Duras âgée sur ce jeune homosexuel. À travers quelques archives, elle confie sa radicalité, tout en laissant planer de la bienveillance dans ce qui a amené ces écrivains à se chérir. Duras hante tout le récit par des interruptions pertinentes, dans le hors-champ et par le biais de toiles, se superposant au discours et au chagrin de Yann et enveloppant toute la charge sexuelle qui relève de son témoignage.

Le spectateur, quant à lui, écoute même sans nécessairement connaître la littérature qu’on lui associe, car Duras pourrait bien avoir une aura de personnage de fiction dans la mise en scène de Simon. Il supporte ainsi le regard et l’attention de la journaliste Michèle Maceaux (Emmanuelle Devos). Mais au-delà de cette rencontre, cette dernière peine à exister à l’écran et souffre d’un trop-plein surexplicatif sur ses relations privées. « Vous ne désirez que moi » porte honorablement les valeurs d’un homme, dans les mailles de ses sentiments, mais sans complaintes, bien au contraire. Et c’est de là que son monologue brille et l’emmène enfin face à un paysage qui a perdu sa brume et une partie de sa zone d’ombre. Il semble un peu plus en paix avec lui-même et sa moitié.


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