
Riche en diversité et en subtilité, 2023 nous a gâtés de bien belles surprises et jusqu’au bout de la dernière semaine. On ne peut que se réjouir d’une telle année, malgré la célébration manquée de deux studios centenaires (Walt Disney Pictures et Warner Bros.).
C’est également une année qui a vu des artistes disparaître (Matthew Perry, Jane Birkin, William Friedkin, David McCallum), mais dont les souvenirs à l’écran restent intacts.
Pour ceux qui restent, c’est une autre histoire. Tournages interrompus, planning des sorties en salle bousculé, les grèves de la Writers Guild of America et de la SAG-AFTRA (Screen Actors Guild‐American Federation of Television and Radio Artists) ont eu un impact considérable sur le paysage hollywoodien et sur le box-office. Ce qui ne veut pas dire pour autant que les géants du streaming sont parvenus à monopoliser toute notre attention sur leurs exclusivités. On reste quand même plus proche de la magie du cinéma en restant collé au fond d’un bon siège douillet, quelles que soient les personnes qui nous accompagnent et malgré leur dextérité dans le noir avec du pop-corn en main. On les aime toujours, pourvu qu’on se laisse guider par la source de lumière géante qui nous invite à nous projeter ou simplement à rêver !
Tout plein de festivals et de nouvelles expériences (Plurielles, Reims Polar, Cannes, L’Étrange Festival, Festival du Film Coréen à Paris) et retour en fanfare d’Hayao Miyazaki, Martin Scorsese, Aki Kaurismäki et sans oublier Steven Spielberg à la réalisation. Beaucoup de premiers longs-métrages séduisants également dans ce top 2023. D’ailleurs, étant donné le volume conséquent de films vus cette année (un peu plus de 200), en retenir seulement dix m’aurait fait mal au cœur. Autant se donner plus de marge et allons-y pour une sélection de 30 œuvres que je conseille pleinement de (re)découvrir. Il y en a pour tous les goûts et pour toutes les émotions !

| 30. Dernière nuit à Milan Franco Amore porte bien son nom. Il dit de lui-même que, durant toute sa vie, il a toujours essayé d’être un honnête homme, un policier qui, en 35 ans d’une honorable carrière, n’a jamais tiré sur personne. Ce sont en effet les mots qu’il écrit pour le discours qu’il tiendra au lendemain de sa dernière nuit de service. Mais cette dernière nuit sera plus longue et plus éprouvante qu’il ne l’imagine et mettra en danger tout ce qui compte à ses yeux : son travail au service de l’Etat, son amour pour sa femme Viviana, son amitié avec son collègue Dino, jusqu’à sa propre vie. Et c’est durant cette même nuit, dans les rues d’un Milan qui ne semble jamais voir le jour, que tout va s’enchaîner à un rythme effréné. En l’amour comme à la guerre, tous les coups sont permis dans cette Dernière nuit à Milan, où un policier prend le risque de bouleverser tout ce qu’il a accumulé en 35 ans de loyaux services. Un thriller italien d’une grande efficacité et d’une grande intensité. L’ancienne capitale de l’Empire romain trouve une impulsion électro-musicale terrifiante dès l’ouverture, ce qui sert d’adrénaline au spectateur que l’on invite pour une nuit blanche. La partition de Santi Pulvirenti superpose ainsi le souffle de Franco Amore au nôtre, de quoi prendre la température dans des conditions extrêmes. Les ténèbres s’abattent sur tout le monde et chacun tentera, à sa manière, de puiser de l’espoir dans le peu de lumière artificielle que la ville puisse donner, en échange de lourds tributs. Précédemment découvert lors d’une séance spéciale à la Berlinale, Dernière nuit à Milan patiente dans les placards depuis qu’il a électrisé l’ouverture de la dernière édition de Reims Polar. Andrea Di Stefano parvient à trouver le bon ton, pour que ce labyrinthe psychologique d’une nuit, bien que la trajectoire soit prévisible, gagne en efficacité à la force de ses personnages et d’une narration fluide à plusieurs niveaux. […] La nuit effrénée trouve cependant un bel écho dans son ultime plan, qui ramène le héros à son état d’individu, dans une honnête destinée et une conclusion plus qu’ambiguë. C’est ce qui en fait sa force et son charme, une nuit de rêves et de cauchemars. |
| 29. Le Ravissement Comment la vie de Lydia, sage-femme très investie dans son travail, a-t-elle déraillé ? Est-ce sa rupture amoureuse, la grossesse de sa meilleure amie Salomé, ou la rencontre de Milos, un possible nouvel amour ? Lydia s’enferme dans une spirale de mensonges et leur vie à tous bascule… S’il faut parfois mentir à soi-même pour rêver un peu, c’est bien toute la tragédie de Lydia, incapable de dissocier ses désirs de la réalité. Dans une effroyable escalade de mensonges, Iris Kaltenbäck nous immerge alors dans l’immense solitude de son personnage, qui tente d’atteindre le pinacle de son déni à tout prix, Le Ravissement. Un titre aussi ambivalent que son héroïne ! La maternité occupe une place importante dans l’esprit d’Iris Kaltenbäck, dont le court-métrage Le Vol des Cigognes a été financé par La Fémis. Il y est question d’une femme qui enlève un jeune nourrisson pour le présenter comme le sien à son compagnon militaire, fraîchement rentré de sa mission. En exploitant un fait divers similaire, la réalisatrice explore les conséquences d’une telle impasse. À la force d’un titre magnifiquement subtil, qui connote aussi bien le bonheur extatique qu’un enlèvement de force, Kaltenbäck touche au malaise, lorsque l’on tente de travestir une réalité qui nous dépassera tôt ou tard. L’héroïne en mal d’affection, Lydia, oscille constamment entre ces deux pôles et finit par jouer dans la même cour que Signe dans Sick Of Myself, une femme aussi narcissique que toxique pour son entourage. Présenté à la Semaine de la Critique, Le Ravissement entretient un goût du risque que son héroïne cultive, entre le fantasme de la maternité et l’ivresse d’une vie à deux, puis à trois et à jamais… Alejandro González Iñárritu, David Robert Mitchell et Julia Ducournau figurent parmi les dernières révélations de cette section parallèle du Festival de Cannes. Iris Kaltenbäck semble marcher dans leurs pas et il convient donc de suivre une cinéaste aussi prometteuse. Son prochain long-métrage est attendu avec impatience. |


| 28. About Kim Sohee Kim Sohee est une lycéenne au caractère bien trempé. Pour son stage de fin d’étude, elle intègre un centre d’appel de Korea Telecom. En quelques mois, son moral décline sous le poids de conditions de travail dégradantes et d’objectifs de plus en plus difficiles à tenir. Une suite d’événements suspects survenus au sein de l’entreprise éveille l’attention des autorités locales. En charge de l’enquête, l’inspectrice Yoo-jin est profondément ébranlée par ce qu’elle découvre. Seule, elle remet en cause le système. La danse est souvent faite de répétitions et de chutes. Il n’y a d’ailleurs qu’un seul pas entre cette passion et la nouvelle routine de Kim Sohee, une jeune étudiante qui va peu à peu se faire consumer par la compétitivité et la réalité de son nouvel emploi. Ce portrait de la Corée du Sud dégage ainsi toute l’amertume d’une jeunesse perdue, sans repères précis, si ce n’est la sélectivité de l’emploi, qui ne rime pas forcément avec la sécurité ou encore l’intégrité. La force du collectif ne compte plus lorsque la réussite est synonyme d’un exploit individuel. Quand bien même, on souhaite se détacher du carcan entrepreneurial, en vantant la liberté de création, l’amie proche de Kim, dans le monde des influenceurs, témoigne et partage fatalement la même solitude. L’enquêtrice nous propose ainsi de suivre sa révolte, aux côtés du spectateur, également déterminé à rendre justice à l’individu, broyé par la machine et qui ne fait que dissimuler sa souffrance. Aucun doute ni aucune faille dans les performances ne doivent transparaître aux yeux des habitants, qui cultivent une naïveté qu’on ne peut plus ignorer. La compétitivité n’est plus saine pour personne et About Kim Sohee nous convainc finalement que la prime n’en vaut pas la peine. |
| 27. Conann Parcourant les abîmes, le chien des enfers Rainer raconte les six vies de Conann, perpétuellement mise à mort par son propre avenir, à travers les époques, les mythes et les âges. Depuis son enfance, esclave de Sanja et de sa horde barbare, jusqu’à son accession aux sommets de la cruauté aux portes de notre monde. Ce qui est amoral peut également être de bon goût. Conann de Bertrand Mandico le prouve avec une esthétique qui n’appartient qu’à son univers gothique et fantastique, très librement inspiré du roman de Robert E. Howard. Il y a donc là de quoi dérouter les aficionados de la célèbre version de John Milius, où la musculature d’Arnold Schwarzenegger le rendait pratiquement invincible. Mais la faiblesse du barbare ne se situe pas dans les combats au corps-à-corps, mais bien dans les sentiments qu’il éprouve. D’abord animé d’un désir de vengeance, c’est ensuite face à l’amour que la nouvelle Conann s’oppose. La guerrière de Mandico est ainsi auscultée d’une décennie à l’autre, à la force d’une succession d’interprètes de qualité (Claire Duburcq, Christa Théret, Sandra Parfait, Agata Buzek, Nathalie Richard). Tuer la jeunesse et trahir ses ambitions sont les enjeux de l’héroïne, qui apprendra à ses dépens que tout ce qui ne la tue pas la rend plus émotive. En puisant dans la mythologie celte, Mandico déroute sans relâche le spectateur, à travers un rapport à notre époque qui échelonne la morale d’un bon coup d’épée et parfois directement dans la trachée. Appuyé par une mise en scène d’une grande fluidité, nous découvrons en Conann un conte et une mise en garde contre la barbarie, dont on s’en souviendra encore un moment, pour le plaisir de nos pupilles et pour certains de leurs papilles. |


| 26. Vermines Face à une invasion d’araignées, les habitants d’un immeuble vont devoir survivre. Ce qu’il y a de plus terrifiant dans les films de monstres, c’est l’attente qui précède le coup fatal. Vermines est généreusement rempli de ce genre de séquences angoissantes et a de quoi faire pâlir tout cinéphile qui estimerait avoir tout vu. Avec les codes du film catastrophe dans les gènes, tout en brossant le portrait de banlieusards sacrifiés, Sébastien Vaniček nous piège dans un nid de parasites qu’il ne faudrait pas secouer. Arachnophobes avertis, frissons garantis ! Imaginez simplement où ces insectes rampants pourraient se planquer et vous les trouverez. Le film en fait une liste non exhaustive et s’en sert pour aligner des instants de frissons garantis. Les plans fixes laissent ainsi les araignées captiver toute notre attention et le cinéaste ne lésine pas sur les jeux de miroirs ou du hors champ pour atteindre sa cible, le public. Chaque plan est pensé et façonné avec énergie, afin d’immerger le spectateur dans la même cage entoilée où évoluent une bande d’amis hétéroclites, à laquelle il est possible de s’identifier. Moins géantes que grand-mère Tarantula, plus agressives qu’Arachnophobie, mais aussi casse-cous que Arac Attack, les créatures à huit pattes de Vermines constituent une belle promesse du cinéma de genre français. Cousin des « parasites » de Bong Joon-ho, Vermines laisse également ses sujets se dévorer entre eux. Ce qui souligne d’ailleurs une défaillance dans la communication, que ce soit entre un frère et sa sœur, deux vieux amis ou encore les jeunes et la police. Et ce dernier cas pointe les effets secondaires de la peur, générés par les valeurs institutionnelles ou bien par le manque de considération. Il s’agit d’un commentaire social loin d’être aussi séduisant que les séquences dédiées aux arachnides. La dramaturgie et le divertissement qui en découlent mettent ainsi à l’honneur le point commun qui existe entre les deux espèces qui s’affrontent à l’écran. Ce sont des êtres enfermés dans une boîte et leur réflexe, c’est d’en sortir. |
| 25. La Femme de Tchaïkovski Russie, 19ème siècle. Antonina Miliukova, jeune femme aisée et brillante, épouse le compositeur Piotr Tchaïkovski. Mais l’amour qu’elle lui porte tourne à l’obsession et la jeune femme est violemment rejetée. Consumée par ses sentiments, Antonina accepte de tout endurer pour rester auprès de lui. Comme toute histoire de célébrité, nous avons celle qui illumine les cieux et au-delà, puis celle qui ne réclame qu’un peu de dignité. De retour sur la Croisette, Kirill Serebrennikov démarre la compétition avec une expérience fort et une position politique pertinente, à l’heure où la culture connaît un remous, si elle n’est pas suffisamment censurée pour qu’on ne s’y intéresse pas davantage. Le cinéaste foule d’ailleurs pour la première fois ces marches, où nous l’attendions au sommet. Après Le Disciple, Leto et La fièvre de Petrov, il est venu donner un sens à la vie privée du célèbre compositeur russe, mais dont il ne sera pas le sujet principal. Toutefois, c’est au crochet de ce dernier, en tant que personne, qu’on dévoilera le revers de la médaille et de l’ombre du saint patriarcat. La Femme de Tchaïkovski est piégée dans son propre fantasme, dans un contre-jour sublime et un cynisme bienvenu. Le metteur en scène évoque habilement les orientations sexuelles d’un pilier soviétique, mais également la chute d’une nation, qui se fourvoie dans ses secrets et par extension, son manque de sincérité. Il hurle à rétablir la vérité derrière un mythe que l’on croyait longtemps intouchable, mais ce qui l’est encore plus, c’est une hystérie silencieuse, où les femmes se laissent consumer par l’illusion du mariage. La rébellion n’est que plus évidente et grâce à l’appui d’une interprète de qualité, le film restera suffisamment magnétique pour rester dans un coin de notre tête. |


| 24. The Wastetown Coupable du meurtre de son mari, Bermani est emprisonnée pendant 10 ans. Libérée, elle part à la recherche de son jeune fils et se rend à la casse automobile où travaille son beau-frère… L’Iran n’est plus que le miroir d’une casse automobile, où des individus déambulent dans l’espoir d’exister dans un avenir proche et incertain. Telle est la démonstration de The Wastetown, avec une mère revancharde comme fil rouge, et qui sonne l’état d’urgence dans lequel le pays régresse. Une tragédie satirique et un thriller haletant ! Bermani attend qu’une porte s’ouvre. Son objectif est confus, mais on comprend rapidement sa détermination de fer. Dix années de prison l’ont métamorphosée. Elle reste naturellement séduisante, mais elle est devenue une femme fatale qui ne laissera aucun homme l’approcher de nouveau. Basan Kosari (La Permission, Marché Noir) lui prête ses traits, en restant ferme dans les conversations et subtile dans sa manière de détourner leurs attentes. Le personnage évolue dans une ville silencieuse, qui s’apparenterait presque à un milieu urbain, soudainement transformé en no man’s land. On ne circule plus dans les voitures, mais bien entre leurs différentes carcasses. Cela ne la freinera pas dans sa quête pour autant, car Bermani fera tout ce qui est nécessaire pour retrouver son enfant. Il ne s’agit pas d’un road-movie à l’esprit feel good, où la réunion d’une mère et son enfant illuminerait le climax. Le ton de l’œuvre parle de lui-même, en brossant le portrait d’une nation avec une élégance rare, permettant ainsi au cinéaste de se focaliser sur la tension mise en place par son dispositif. Peu de protagonistes, de dialogues, de décors, une musique obsédante, il n’en faut pas plus. Juste un peu de patience et d’imagination et le récit délivre sa toute-puissance, dans les moments où l’on prend à peine le temps d’inspirer. En somme, The Wastetown fait simplement un état des lieux disgracieux de la société iranienne, à travers le spectre d’une cité urbaine, où dérive une femme prête à tout pour se défaire de ses chaînes, prête à tout pour ne pas devenir l’objet d’une mort programmée par son environnement. La perspective est foudroyante jusqu’au tout dernier plan. |
| 23. Les Filles d’Olfa La vie d’Olfa, Tunisienne et mère de 4 filles, oscille entre ombre et lumière. Un jour, ses deux filles aînées disparaissent. Pour combler leur absence, la réalisatrice Kaouther Ben Hania convoque des actrices professionnelles et met en place un dispositif de cinéma hors du commun afin de lever le voile sur l’histoire d’Olfa et ses filles… Si le cinéma constitue souvent le moyen de se soustraire de la réalité, d’autres l’empoignent sans retenue. La démarche de la cinéaste tunisienne Kaouther Ben Hania jongle sur cette fine frontière, où elle met en œuvre une narration atypique dans un travail de reconstitution remarquable. Deux mois après avoir secoué le festival de Cannes, ce récit engagé n’a pas à rougir du reste de la compétition, bien que l’étiquette documentaire qu’on lui associe tempère sa visibilité. Que dire d’une telle œuvre, qui se veut à la fois être le témoignage d’une tragédie familiale et celui d’une réflexion sur celles et ceux qui ne sont plus physiquement présents ? Fantasme ou réalité, amour ou violence, ces ingrédients font partie d’un programme qui parvient à dépasser le propos politique d’Olfa Hamrouni et de ses filles. La cinéaste opte pour la passerelle de sa reconstitution de manière ludique et de telle sorte que son audience fasse les propres connexions. Dans un souci de minimalisme, cette dernière a rarement décollé d’une chambre d’hôtel, à la fois comme le théâtre et les coulisses de son œuvre. Cette reconstitution révèle cependant ses limites lorsque le dispositif de substitution devient fonctionnel et freine certains élans émotionnels. La répétition du procédé y est sans doute pour quelque chose, mais le fait est que l’intention a le mérite de nous tenir en haleine face à autant de confessions. Raison de plus pour renforcer la voix féminine et la reconnaître à sa juste valeur. Ainsi, sans pleinement épouser l’angle du documenteur comme Kaouther Ben Hania a pu le faire en évoquant Le Challat de Tunis, et sans laisser le temps à ses sujets de s’ouvrir au monde comme dans l’optimiste Zaineb n’aime pas la neige, Les Filles d’Olfa brise en permanence le quatrième mur pour enfin cicatriser les empreintes du passé, du présent et du futur dans un reflet sublime et bouleversant. |


| 22. Aftersun Avec mélancolie, Sophie se remémore les vacances d’été passées avec son père vingt ans auparavant : les moments de joie partagée, leur complicité, parfois leurs désaccords. Elle repense aussi à ce qui planait au-dessus de ces instants si précieux : la sourde et invisible menace d’un bonheur finissant. Elle tente alors de chercher parmi ces souvenirs des réponses à la question qui l’obsède depuis tant d’années : qui était réellement cet homme qu’elle a le sentiment de ne pas connaître ? Les vacances constituent autant d’occasions de redynamiser les liens qui unissent la famille ou un groupe d’amis qu’un espace qui ouvre les possibilités de réconciliation et de séparation. Pour son premier long-métrage, Charlotte Wells en fait son sujet, dans une brève échappée d’une fille et de son père, qui se cherchent l’un et l’autre, sous un soleil étincelant. Il s’agira alors de savoir s’ils choisiront de se contenter de sa lueur, de sa proximité avec leur peau ou bien de s’y brûler, tels des souvenirs que l’on ne peut pas toujours restaurer. À la force d’enregistrements Mini-DV, le voyage en famille est alimenté par les fantômes qui sont à l’écran et par ceux qui les ont autrefois captés, avec tendresse et sincérité. L’absence qui boucle les derniers instants de Aftersun nous avertit ainsi d’une fatalité, propre aux souvenirs et au fantasme d’une vie passée, éphémère et parfois à l’opposé de nos attentes. En filmant une routine, sans détour et en laissant les personnages infuser dans la pellicule, on reste attentif aux potentiels dangers que peuvent rencontrer Sophie et Calum, dans un voyage bien trop calme pour que l’on n’y discerne pas la tempête intérieure qui les oppose. Cette lettre d’amour passe par tous les gimmicks possibles, allant du karaoké aux scènes de danse, dont on a manqué le rendez-vous, donnant incontestablement une saveur particulièrement douce-amère au deuil que représentent ces moments figés et irrécupérables. |
| 21. Past Lives A 12 ans, Nora et Hae Sung sont amis d’enfance, amoureux platoniques. Les circonstances les séparent. A 20 ans, le hasard les reconnecte, pour un temps. A 30 ans, ils se retrouvent, adultes, confrontés à ce qu’ils auraient pu être, et à ce qu’ils pourraient devenir. Plus besoin d’imaginer les trois visages de l’amour, car Past Lives vous les sert sur un plateau. Entre autobiographie et portrait de sentiments contrariés avec le temps et la distance, Celine Song signe un premier film d’une intensité émotionnelle saisissante. Le premier amour est le grand sujet d’une conversation qui tourne court entre deux écoliers de primaire. Lorsque le temps est venu de quitter son pays natal pour se métamorphoser, comment peut-on renouer avec ses racines et une culture dont on ignore les coutumes ? Un grand film américain avec deux protagonistes coréens qui cherchent sans cesse cette oasis où leur union a un sens, où leur amour peut exister sans contradiction. C’est magnifique et audacieux. Pas garanti que tout le monde se range du côté de ce film pour autant, car toutes ses valeurs intimes sont cachées dans les profondeurs, dans le jeu remarquable des interprètes qui doivent tout intérioriser, tout refouler, jusqu’à ce que cette charge implose dans un climax bouleversant. Ce précieux portrait sur l’amour n’est pas à vivre dans une vie passée, saisissez votre chance dès à présent ! |


| 20. Love Life Taeko vit avec son époux Jiro et son fils Keita en face de chez ses beaux-parents. Tandis qu’elle découvre l’existence d’une ancienne fiancée de son mari, le père biologique de Keita refait surface. C’est le début d’un cruel jeu de chaises musicales, dont personne ne sortira indemne. Après avoir accueilli des étrangers en tous genres avec Hospitalité, ébranlé le système familial à l’aide d’un Harmonium, tissé un lien nostalgique et fantastique dans Le Soupir des Vagues, brisé L’Infirmière en quête de confiance et joué au ping-pong romantique dans le dyptique Suis-moi je te fuis, Fuis-moi je te suis, Kôji Fukada est au sommet de sa carrière. Les apparences sont toujours trompeuses chez ce cinéaste qui multiplie les portraits de famille et de couple dans une crise existentielle. Avec son dernier cru, qu’il a pu présenter en compétition lors de la Mostra de Venise 2022, il réitère en explorant un nouveau pan de la nature humaine. Des regards qui ne se croisent jamais, des mots d’encouragement mal agencés, le langage exclusif des signes, des douleurs émotionnelles que l’on dissimule pour la bienséance, Kôji Fukada souligne ici les enjeux d’une communication défaillante. La rédemption des protagonistes en découle, d’où le dénouement sur une note de compassion, avec ce couple amoureux qui accepte autant la distance qui les sépare que les tragédies qui les rapprochent. Il s’agit ainsi d’une Love Life, une vie de peine, une vie à deux. |
| 19. Killers of the Flower Moon Au début du XXe siècle, le pétrole a apporté la fortune au peuple Osage qui, du jour au lendemain, est devenu l’un des plus riches du monde. La richesse de ces Amérindiens attire aussitôt la convoitise de Blancs peu recommandables qui intriguent, soutirent et volent autant d’argent Osage que possible avant de recourir au meurtre… Une tragédie américaine et humaine. Ces quelques mots résument assez bien ce que Martin Scorsese s’est efforcé de condenser en à peine 3h30. Sans une miette à jeter, Killers Of The Flower Moon revient sur le nouveau mécanisme morbide de la ruée vers l’or. Le peuple Osage, déjà victime de la suprématie des colons, ne peuvent pas non plus jouir du grand luxe bien longtemps, malgré ces hectolitres d’or noir qui barbotent sous les terres qu’on leur a forcées à acheter et à légitimiser, aux yeux et à la barbe du saint capitalisme. « Notre sang devient blanc », déclare la matriarche d’une famille, soumise aux arnaques et combines d’un Robert De Niro malicieux et un Leonardo DiCaprio en mégalomane naïf. La pauvre épouse Osage campée par Lily Gladstone ne pouvait qu’attendre sur son lit de mort qu’on vienne enfin la délivrer du mal qui s’est installé dans sa vie et dans son portefeuille. Portrait empirique du capitalisme, le cinéaste joue de sa narration en voix off et place sa caméra à bonne distance pour que les vols et meurtres impunis se confondent avec une peinture tachée de honte, de culpabilité et de sang. L’observation est aussi terrifiante qu’elle en a l’air, en parallèle de la traque du FBI, une organisation naissante qui ne peut que freiner l’appétit des loups-garous, à défaut d’anticiper leurs méfaits. Ainsi, nous avons déjà hâte de retrouver Martin Scorsese à la barre d’une nouvelle adaptation d’un roman de David Grann, celle qui verra Les Naufragés du Wager partir à la dérive. Toujours avec DiCaprio en tête d’affiche. |


| 18. Toute la beauté et le sang versé Nan Goldin a révolutionné l’art de la photographie et réinventé la notion du genre et les définitions de la normalité. Immense artiste, Nan Goldin est aussi une activiste infatigable, qui, depuis des années, se bat contre la famille Sackler, responsable de la crise des opiacés aux États Unis et dans le monde. Toute la beauté et le sang versé nous mène au cœur de ses combats artistiques et politiques, mus par l’amitié, l’humanisme et l’émotion. Le Lion d’Or 2022 ne manque pas de rugir et de mordre là où il faut, dans le cœur de son public. Si l’on croît traverser le déroulé habituel d’un mouvement social, avec tous ses écueils de chutes et de succès, Toute la beauté et le sang versé nous fait rapidement comprendre une transgression dans sa narration à tiroirs. On nous dévoile des actions militantes en coulisses, des arguments qui gravitent pourtant autour de la biographie de Nan Goldin, une artiste qui a su donner une impulsion à ses photos du quotidien. La clé de la réussite réside ainsi dans les prises de position de la photographe qu’est Nan Goldin, qui parvient à redonner vie à son entourage LGBT et à le rendre éternel à travers ses combats. Toute la beauté et le sang versé montre ainsi la possibilité de changer les choses et que par le biais de la culture peut naître un espoir, porté par un collectif, tout ce qu’il y a de plus humain et moral. |
| 17. The First Slam Dunk Le meneur de jeu de Shohoku, Ryota Miyagi, joue toujours intelligemment et à la vitesse de l’éclair, contournant ses adversaires tout en gardant son sang-froid. Né et élevé à Okinawa, Ryota avait un frère aîné de trois ans de plus. Sur les traces de ce dernier, joueur local célèbre dès son plus jeune âge, Ryota est également devenu accro au basket. En deuxième année de lycée, Ryota fait partie de l’équipe de basket-ball du lycée Shohoku, aux côtés de Sakuragi, Rukawa, Akagi et Mitsui, et participe au championnat national inter-lycées. À présent, ils sont sur le point de se mesurer aux champions en titre, les joueurs du lycée Sannoh Kogyo. Le basketball arrive à son paroxysme dans un univers que l’on qualifierait pourtant de masculin. Cependant, The First Slam Dunk transcende les individualités du shōnen dont il est adapté, afin de réunir petits et grands, amoureux du manga, du sport ou de cinéma autour d’un plan de jeu unique et une animation à couper le souffle. Les lycéens de Shohoku défient les tenants du titre, une confrontation qui ne laissera personne indemne. Chaque passe et chaque point ont leur importance, que ce soit pour le score final ou pour le moral du groupe. Le duel est à la fois physique et psychologique. Les corps s’adaptent à la vitesse du jeu, mais le bras de fer est permanent. Le positionnement des jambes, des pieds, des mains, des épaules, des hanches… de nombreux réflexes nerveux et abondamment répétés à l’entraînement sont captés dans une animation alléchante, mêlant 2D et 3D, et qui n’oublie pas de justifier la masse des protagonistes à chaque fois qu’ils avancent d’un pas. La mise en scène est d’une minutie qui ravira les fans de cette discipline, à tel point que l’on vit le match et les enjeux de chaque joueur de l’intérieur. « Le match n’est jamais terminé tant que vous n’avez pas abandonné. » Le coach Anzai Mitsuyoshi en sait quelque chose, avec ses années d’expérience au sein de l’équipe nationale. Il est facile de faire le pont avec la vie que les joueurs doivent reprendre en main, qu’importe le camp, qu’importe les ambitions. 26 ans après la fin de la série, The First Slam Dunk de Takehiko Inoue sculpte sa plus grande fresque du basketball sur grand écran, une démonstration savoureuse du savoir-faire de l’animation japonaise. Au terme d’un récit, d’un match et d’une vie sans temps mort, le cinéaste nous tend avec amour et passion le ballon qui nous donne suffisamment envie d’assister à des matchs ou à organiser les nôtres. |


| 16. Babylon Los Angeles des années 1920. Récit d’une ambition démesurée et d’excès les plus fous, l’ascension et la chute de différents personnages lors de la création d’Hollywood, une ère de décadence et de dépravation sans limites. « Et Babylone resterait là des années, échouée tel un rêve gargantuesque au bord de Sunset Boulevard. » Le cinéaste et auteur américain Kenneth Anger, réputé pour son style underground, couchait ses mots avec spontanéité, à propos du quatrième acte de l’Intolérance de D. W. Griffith, lors d’un passage sur la capitale française dans les années 50. Il n’est donc pas étonnant de le voir valser d’une chronique à l’autre, dans un langage aussi trash que pétillant, et de revenir sur le portrait d’une industrie aussi dépravée et ses stars, qui occultaient presque les grandes unes mondiales, dont les grandes Guerres mondiales, par-delà l’Atlantique, voire le pacifique, puisque la plupart du temps, chaque issue nous ramène vers le Hollywood Babylone qu’il démaquille à la brosse. Cet empilement d’affaires scandaleuses a sans aucun doute permis à Damien Chazelle d’affûter son cadre sur cet Âge d’Or du cinéma américain, celui de tous les vices et de tous les supplices. Chazelle l’identifie et partage avec le public ses intentions. Il croit fermement à un renouveau, comme le nouvel Hollywood, la nouvelle vague, le cinéma indépendant et le numérique qui ont changé la donne, apportant avec eux de nouvelles perspectives. Il ne nous le crache pas sans une bonne rupture de ton et son humour s’affine, au même rythme que son langage cinématographie parvient devient de plus en plus universel. Il n’est pas question de se refaire un Once upon a time… in Hollywood, mais bien d’illustrer la symphonie dantesque d’un Babylon qui a digéré cet Âge d’Or. Tout ce qu’il espère, c’est que le Hollywood actuel rebondisse également sur son héritage, dès lors qu’il s’entête dans une monotonie évidente. Et peut-être bien que l’industrie pourra s’épargner les mêmes tragédies que les personnages, pour renaître avec la fureur et le même émerveillement qu’autrefois. |
| 15. Nos Cérémonies Royan, 2011. Alors que l’été étire ses jours brûlants, deux jeunes frères, Tony et Noé, jouent au jeu de la mort et du hasard… Jusqu’à l’accident qui changera leur vie à jamais. Dix ans plus tard et désormais jeunes adultes, ils retournent à Royan et recroisent la route de Cassandre, leur amour d’enfance. Mais les frères cachent depuis tout ce temps un secret… La vie et la mort sont intimement liées à l’adolescence, une mue caractérisée par la découverte de soi. On s’égare et on se retrouve, tout ça dans le même mouvement que Nos Cérémonies entretient avec une grande sensibilité. Il s’agit autant d’arguments établissant le portrait d’une jeunesse traumatisée que d’une véritable ode à la fraternité et dans toutes ses nuances. Son passage à la Semaine de la Critique 2022 n’a pas fait que des étincelles dans les yeux, car il reste toujours cette once de cynisme et d’espoir qui ronge encore le spectateur au bout du visionnage intense. Simon Rieth, qui a grandi avec une caméra à la main, sait comment appréhender ce premier long-métrage plein de promesses et de passions. En replongeant sur les lieux de son adolescence à Royan, il prend soin d’émietter une rivalité sous diverses formes, au nom de la fraternité, de l’amitié et des sentiments. Nos Cérémonies ne manque donc pas d’impressionner par sa brutalité, que ce soit dans la photographie ou dans le sound design, et parfois les deux dans le même travelling. La fraternité des enfants perdus, peut-être même orphelins tout court, est façonnée avec une originalité, qui déborde de sensualité. Cette expérience rare dans le paysage français vaut le détour et on admettra cette part de nihilisme dans l’intrigue qui entraîne forcément des conséquences sur la génération suivante, plus vivante que jamais. |


| 14. Spider-Man : Across the Spider-Verse Après avoir retrouvé Gwen Stacy, Spider-Man, le sympathique héros originaire de Brooklyn, est catapulté à travers le Multivers, où il rencontre une équipe de Spider-Héros chargée d’en protéger l’existence. Mais lorsque les héros s’opposent sur la façon de gérer une nouvelle menace, Miles se retrouve confronté à eux et doit redéfinir ce que signifie être un héros afin de sauver les personnes qu’il aime le plus. Qu’est-ce que le destin, si ce n’est une toile toute rectiligne ? Eh bien ce serait un embranchement de plusieurs hypothèses. C’est en tout cas ce que Spider-Man : Across the Spider-Verse nous promet dans une nouvelle aventure magnifiquement et dynamiquement animée. Les arachnophobes n’ont qu’à bien se tenir, car le petit groupe qu’on a pu découvrir précédemment n’est qu’un avant-goût de ce fourre-tout, où Sony affirme bel et bien son autorité sur la petite araignée sympa du quartier. Sous l’impulsion de Chris Miller et Phil Lord, qu’on ne présente plus et à qui l’on doit également la discrète mais efficace aventure des Mitchell contre les machines sur Netflix, Joaquim Dos Santos, Kemp Powers et Justin Thompson sont les artisans de cette astucieuse relecture. On affine le grain, on saccade moins l’image, la fluidité de ce voyage est sa plus grande force, en plus de réussir là où les live-action échoue grandement, à savoir dans l’attachement aux protagonistes. Tout un tas d’arguments jouent en la faveur d’une grande maîtrise technique. Les animateurs se sont démenés pour créer une esthétique propre à chaque tisseur de toile, tout comme Daniel Pemberton a confectionné leur leitmotiv. Cela permet à la fois d’iconiser chacune de leur apparition et de les confronter à la manière d’un jazz-band. |
| 13. Simple comme Sylvain Sophia est professeure de philosophie à Montréal et vit en couple avec Xavier depuis 10 ans. Sylvain est charpentier dans les Laurentides et doit rénover leur maison de campagne. Quand Sophia rencontre Sylvain pour la première fois, c’est le coup de foudre. Les opposés s’attirent, mais cela peut-il durer ? De La Femme de mon Frère à la délicieuse comédie hallucinée Babysitter, une sexist story bien huilée, Monia Chokri revient sur la Croisette avec la ferme intention de marquer le coup avec une comédie romantique rocambolesque et pleine de promesses. “Que sait-on de l’amour ? Que sait-on de ses propres sentiments ? Nous guident-ils vers un destin fabuleux ou vers notre perte ? Ces interrogations se croisent autour d’une table à manger, on l’on sert plus de ragots que de ragoûts. Monia Chokri s’amuse ainsi à disséquer le couple, dans toutes ses couleurs et dans tous ses malheurs. On rit et on pleure donc à leurs côtés, car si tout est Simple comme Sylvain, cela ne saurait perdurer. Chacun semble déterminé à lutter pour leur moitié et on en vient à vampiriser l’autre pour son regard, son sourire ou pour une partie de jambes en l’air. La démarche fascine autant qu’elle nous remplit de joie au terme d’une projection savoureuse. |


| 12. La Passion de Dodin Bouffant Au XIXe siècle, Eugénie est depuis 20 ans cuisinière au service du célèbre gastronome Dodin. A force de passer du temps ensemble dans la cuisine, une passion amoureuse s’est construite entre eux deux. Mais Eugénie n’a jamais voulu se marier avec Dodin, pour garder sa liberté. Un gourmet est un glouton qui se domine. La Passion de Dodin Bouffant ouvre ainsi l’appétit, tout en sublimant une histoire d’amour, une bouchée après l’autre. Juliette Binoche et Benoît Magimel, autrefois un couple dans la vie, sont à présent de retour à l’écran. Elle est Eugénie, une cuisinière, et lui le célèbre gastronome Dodin. Pas besoin d’en savoir plus avant de poser ses yeux sur le spectacle musical que l’on peut entendre quotidiennement dans les coulisses des meilleures recettes. La cuisine prend vie, le choc des casseroles chaudes annonce la couleur des plats, la cueillette des légumes est précise, tout comme le dressage des assiettes. Ce jeu de séduction à travers les vertus de la cuisine, qu’elle soit hautement gastronomique ou humblement rustique, fait de La passion de Dodin Bouffant une belle surprise. Rien de foncièrement transcendant dans la mise en scène, qui s’occupe de donner vie aux ingrédients qui frétillent sous la chaleur des plaques. Il reste alors cette romance culinaire que l’on apprécie pour sa sincérité, qui nous affame juste assez pour avancer notre prochain repas. |
| 11. Anatomie d’une chute Sandra, Samuel et leur fils malvoyant de 11 ans, Daniel, vivent depuis un an loin de tout, à la montagne. Un jour, Samuel est retrouvé mort au pied de leur maison. Une enquête pour mort suspecte est ouverte. Sandra est bientôt inculpée malgré le doute : suicide ou homicide ? Un an plus tard, Daniel assiste au procès de sa mère, véritable dissection du couple… Faute d’incandescence dans ses précédentes œuvres (La Bataille de Solférino, Victoria et Sibyl), Justine Triet empoigne sa caméra comme un outil de narration dont les contours sont perceptibles. Ce constat constitue pourtant la trajectoire de sa filmographie, qui gravitait déjà autour d’un couple qui s’effrite avec le temps. Elle enveloppe tout cela dans un film de procès, qui ausculte autant un potentiel homicide sur fond de violence conjugale qu’une cour de justice qui préfère choisir sa vérité. Le cœur du sujet est fait de questions, parfois sans réponse et souvent remplies d’hypothèses contradictoires. La cinéaste sonde alors tous ces aspects à travers la culpabilité de ses protagonistes, impliqués de près ou de loin à cette sombre affaire. La caméra de Triet nous balade d’un point de vue à une autre de manière ludique. Tantôt omnisciente, tantôt subjective, à hauteur d’une épouse dévastée, d’un chien malade ou d’un enfant qui n’a pas le confort du deuil. De même, elle s’amuse de zoom et de dézoom sur les visages oppressés des protagonistes. De cette façon, Triet nous livre des informations précieuses sur l’inconfort d’une audience qui ne laisse rien passer. Anatomie d’une chute n’évoque pas uniquement les circonstances d’un décès incongru. Il s’agit avant tout de disséquer la vie d’un couple en chute libre, où le temps et les compromis entrent inévitablement en collision. Autopsie d’un couple d’une grande justesse. Le temps, les barrières de la langue, les rapports de forces et d’influence lorsque l’on a un enfant à élever. À qui revient la responsabilité pour telle ou telle faute ? Comment atteindre la vérité, à travers des hypothèses plus ou moins absurdes ? Ou alors comment en accepter une, celle qui délivrerait une famille brisée et nous autres spectateurs d’un tribunal, dont on ausculte également le mécanisme ? Un film de procès qui se réinvente magnifiquement, avec des comédiens fabuleux. |


| 10. La Famille Asada Depuis ses 12 ans, seule compte la photographie pour Masashi. Quand il réalise que ses parents et son frère ont renoncé à leur passion, il décide de les mettre en scène : pompier, femme de yakuzas, pilote de Formule 1… Devant l’objectif de Masashi, toute la famille se prête au jeu pour permettre à chacun de vivre ses rêves de jeunesse. Quand le Japon est touché par le tsunami de 2011, les photos de Masashi prennent une nouvelle dimension. Une image cristallise toute la beauté d’un geste, d’une émotion ou encore d’un souvenir. Pourtant, il est toujours possible de repousser les frontières de ses interprétations et le cinéaste japonais le démontre avec une sincérité bluffante. Avec ses précédents longs-métrages (Capturing Dad, Her Love Boils Bathwater), qui baignent au crépuscule d’une vie et d’un quotidien familial solide, Ryōta Nakano en appel à notre sourire et notre sensibilité, face à ce cadre intime et en même temps universel. La famille constitue une partition commune à tous, que l’on soit liés par le sang ou non, mais cette affiliation est d’autant plus forte que la douleur est partagée. Il suffira d’observer le premier cliché des Asada pour se rendre compte qu’il n’y aura rien de prévisible, notamment sur le sort du cadet, d’abord voué à une passion, avant de se laisser engloutir par les tréfonds de l’errance. Et ce petit rappel, qu’on nous insère en début et en fin de projection, nous renvoie à notre propre réalité, car c’est un double jeu qui s’affiche à l’écran. Le spectateur est amené à y projeter son univers, ses cicatrices et sa bonne humeur pour se convaincre de la première chose qui compte, lorsque l’on réussit enfin à réunir différentes personnalités dans une même thématique. Elle peut être issue d’un fantasme, mais également d’une réalité alternative, que l’on s’accorde simplement pour le jeu de la pose ou la saveur unique d’une unité parfaite. Malgré cela, Masashi n’est pas constamment le plus assidu, il marche, il rampe, il est en décalage avec son monde, notamment lorsqu’il est fasciné par la balade nocturne d’une tortue. Il est souvent en plongée sur ce qui l’anime intérieurement, mais malheureusement, il est lui-même en contre-plongée de sa vie, qu’il ne tient plus forcément du bout d’un appareil photo. Autant affirmer que La Famille Asada travaille sa composition comme l’argument principal de toute cette adaptation. Cela passe par des relations parfois houleuses avec un frangin terre-à-terre ou par la cohabitation exclusive avec la femme de sa vie. Masashi renverse continuellement les tendances, au fur et à mesure qu’il prend de l’âge et qu’il cherche à s’appliquer dans le prochain cliché familial qu’il rendra éternel. Dans cette même démarche, il se forge une voie, celle de la reconstitution, l’étape qui le ramène évidemment à la création, mais avec le recul nécessaire pour ne négliger aucun point de vue. |
| 9. Godzilla Minus One Le Japon se remet à grand peine de la Seconde Guerre mondiale qu’un péril gigantesque émerge au large de Tokyo. Koichi, un kamikaze déserteur traumatisé par sa première confrontation avec Godzilla, voit là l’occasion de racheter sa conduite pendant la guerre. Pour Takashi Yamazaki, ce Godzilla Minus One constitue un souffle libérateur, car le nombre d’œuvres embarrassantes qu’il a réalisées auparavant ne manquent pas (Space Battleship, Lupin III : The First). Tout laisse cependant croire que cette nouvelle altération du roi des monstres peut fièrement marcher dans le sillage de Shin Godzilla et il piétine sans peine les blockbusters hollywoodiens de ces dernières années, pour seulement 15 millions de dollars de budget. Qu’on ne s’y trompe pas, on peut reconnaître de nombreux défauts d’écriture chez le cinéaste, mais en aucun cas le manque flagrant de générosité époustouflante est à pointer du doigt. Ce qui est largement suffisant pour éclipser les faiblesses de ce pur objet de divertissement. Takashi Yamazaki remet les cartes de l’avenir dans les mains de ces citoyens et soldats survivants qui ont tout perdu, jusqu’à leur honneur. Et malgré le sacrifice et les regrets de chacun, tout ce beau monde est appelé sur le front d’une nouvelle menace inconnue, au large des côtes nippones. La guerre ne semble pas terminée et Godzilla est de retour pour un grand terrassement. […] Yamazaki en appelle également à un mélodrame qui n’est certainement pas avare en bons sentiments, même s’il manque encore de finesse dans l’écriture des personnages pour parfaire la tragédie humaine qui se joue devant nous. Pas non plus question de rester de marbre face à un deuil national qui se rejoue l’écran, car l’étrange et la poignante complicité entre Kōichi, Noriko et un enfant a tout le potentiel de vous émouvoir le temps de belles promesses. Puis, dans un silence ou dans une impulsion musicale méticuleusement composée par Naoki Sato, l’émotion est formidablement accompagnée, jusque dans la réutilisation du thème mythique d’Akira Ifukube. Rares sont ceux qui ont pu se rendre dans les quelques salles combles d’IMAX et de 4DX, uniques points de chute pour accueillir Godzilla Minus One, les 7 et 8 décembre 2023. Bien qu’une grande partie de l’intrigue puisse sembler programmatique, cela n’enlève en rien les sensations exceptionnelles que peuvent générer un tel spectacle, audacieux, tonique, solidaire et inoubliable. On se laisse volontiers marcher dessus par des blockbusters aussi généreux et sincères que celui-ci. Et dans le fond, les spectateurs ne demandent que ça. Il nous tarde déjà de retrouver Godzilla au sommet de son trône, reconquis avec ferveur. Longue vie au Roi des Monstres. |


| 8. Marcel le coquillage (avec ses chaussures) Marcel est un adorable coquillage qui vit seul avec sa grand-mère Connie, depuis sa séparation avec le reste de leur communauté. Lorsqu’un réalisateur de documentaires les découvre dans son Airbnb, la vidéo qu’il met en ligne devient virale et offre à Marcel un nouvel espoir de retrouver sa famille… Squelette d’un mollusque marin, le coquillage est pourtant doté d’une âme d’enfant dans ce faux documentaire plein de tendresse. Trois ingénieux courts-métrages ont introduit Marcel the Shell with Shoes On du cinéaste Dean Fleischer-Camp et de sa compagne de l’époque, Jenny Slate, humoriste et actrice. Leur enfant en pâte à modeler, assemblé avec des produits bon marché, a finalement trouvé le grand écran, sans oublier qu’il vient de YouTube, le support d’origine qui a su rassembler de nombreux fans autour de ce projet inspiré et inspirant. Une combinaison exigeante et fascinante de la stop-motion et du live-action nous immerge dans l’immense univers d’un minuscule personnage. Curiosité et réjouissance, c’est en tout cas ce que l’on ressent à la proximité d’un tel spécimen qui pourrait se prêter à la mignonnerie naise, tel un chaton qui retombe maladroitement sur ses pattes. Marcel à ce pouvoir de communier avec son entourage, tout en trouvant mille astuces afin de s’adapter à l’environnement titanesque des humains. Le spectateur a donc le loisir de connaître les péripéties de son quotidien, à commencer par les déplacements à travers les pièces d’un Airbnb qui n’abrite pas exclusivement des vacanciers. Le cinéaste devient juste Dean, le temps d’empoigner sa caméra et de dialoguer avec sa création la plus précieuse et la plus adorable du moment. De même, le fait que Jenny Slate double Marcel n’est pas si anodin et révèle que sa coquille est remplie de vie, ambition, d’innocence et de sagesse. Difficile de retenir notre joie ou l’expression de nos sentiments devant ce geste artistique et philosophique qui accompagne Marcel le coquillage (avec ses chaussures). On sèche volontiers nos larmes devant une incontournable prouesse cinématographique aussi spectaculaire, poignante et à la hauteur d’un personnage dont on ne doute pas un instant de l’existence, malgré la distance qui le sépare de ses pairs. L’importance de l’amitié et de la famille sont les clés afin de surmonter les épreuves que son monde a à nous offrir. En échange, cette œuvre ne demande rien de plus qu’un peu d’attention et d’amour. |
| 7. Le Procès Goldman En avril 1976, débute le deuxième procès de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, condamné en première instance à la réclusion criminelle à perpétuité pour quatre braquages à main armée, dont un ayant entraîné la mort de deux pharmaciennes. Il clame son innocence dans cette dernière affaire et devient en quelques semaines l’icône de la gauche intellectuelle. Georges Kiejman, jeune avocat, assure sa défense. Mais très vite, leurs rapports se tendent. Goldman, insaisissable et provocateur, risque la peine capitale et rend l’issue du procès incertaine. Il marche seul et n’est pas d’humour à chanter La Marseillaise. Ce n’est pas Jean-Jacques Goldman, mais bien le demi-frère de celui-ci dont il est question dans un procès qui porte son nom. Pierre Goldman est soumis aux préjugés d’un tribunal, qui doit statuer sur un crime qu’il n’aurait pas commis. Certains souhaiteraient le faire taire à jamais, mais ce lieu sacré, où la parole est d’argent, pourrait bien se retourner contre lui, contre sa volonté et son l’innocence qu’il clame haut et fort, si bien que toute provocation de sa part devient un argument social à développer pour Cédric Kahn. Kahn fait le choix de nous enfermer dans les assises d’Amiens, où le ludisme est pleinement exploité à partir du siège du public et non celui du juré. Tout le monde participe activement à cette affaire, suffisamment médiatisée pour que l’on ait un avis à donner. Les différentes classes sociales, venues d’ici et d’ailleurs, toute la France de droite et de gauche sont réunies dans le colisée de la Justice. La présomption d’innocence de Pierre occupe une bonne partie de l’intrigue, car les témoignages convergent, puis divergent. Les contradictions s’additionnent, au détour de souvenirs un peu trop poreux pour qu’on y croit. Le Procès Goldman n’est pas seulement celui d’un homme en colère, mais bien celui d’une France scindée en deux, scindée entre l’autorité et les révolutionnaires. Le portrait de la justice n’en est que plus pertinent, soulignant l’atmosphère hostile d’une époque pas si lointaine. Au fil d’un film au suspense triomphant, on nous invite ainsi à prendre conscience d’une déroutante démocratie. |


| 6. How to have sex Afin de célébrer la fin du lycée, Tara, Skye et Em s’offrent leurs premières vacances entre copines dans une station méditerranéenne ultra fréquentée. Le trio compte bien enchaîner les fêtes, cuites et nuits blanches, en compagnie de colocs anglais rencontrés à leur arrivée. Pour la jeune Tara, ce voyage de tous les excès a la saveur électrisante des premières fois… jusqu’au vertige. Face au tourbillon de l’euphorie collective, est-elle vraiment libre d’accepter ou de refuser chaque expérience qui se présentera à elle ? Le culte de la « première fois » peut rapidement passer du fantasme à une malédiction, si on ne prend pas soin d’écouter son ou sa partenaire. Molly Manning Walker s’engage fièrement à rassurer les jeunes adolescents, qui sont amenés à explorer les subtilités de leur sexualité dans un teen-movie captivant, immersif et responsable. How To Have Sex démontre ainsi que la pression sociale envenime souvent cet apprentissage. Et le fameux rapport sexuel attendu n’est plus que douleur et désillusion. Portrait de jeunes filles mal à l’aise dans leur corps vierge, au milieu d’une masse de fêtards qui transpire l’alcool tout en tirant leur joint, le film crée de l’attente autour de la culture de la « première fois ». La pression sociale qui s’exerce sur Tara, motivée à rejoindre le monde des femmes constitue un fardeau, mais également un fantasme pour son groupe. Les jeux de séduction avec leurs voisins de chambre deviennent de plus en plus vicieux et toxiques, éloignant ainsi Tara de tout soutien émotionnel. Cette dernière se transforme ainsi en ange déchu, en référence à son collier qu’elle arborait fièrement en arrivant. Après une nuit bien glacée, elle ne sera plus la même. How To Have Sex, tout est dans le titre, qui s’expose comme un souhait et un peu comme une leçon morale. De manière habile, juste et immersive, le film de Molly Manning Walker cherche à ouvrir la discussion autour des sujets du consentement féminin et sur la sexualité des jeunes adulteq, pas toujours maîtrisés et qui créent un traumatisme chez ces futures femmes, obligées de vivre avec des regrets. |
| 5. Mars Express En l’an 2200, Aline Ruby, détective privée obstinée, et Carlos Rivera son partenaire androïde sont embauchés par un riche homme d’affaires afin de capturer sur Terre une célèbre hackeuse. De retour sur Mars, une nouvelle affaire va les conduire à s’aventurer dans les entrailles de Noctis, la capitale martienne, à la recherche de Jun Chow, une étudiante en cybernétique disparue. Mars Express, une œuvre de science-fiction qui copine intimement avec le polar. Tout cela dans un enrobage graphique qui joue sur la nature artificielle des décors et des personnages, le premier long-métrage de Jérémy Périn, coécrit par Laurent Sarfati, trouve l’accord parfait pour ne pas soustraire une once de réflexion à cette excursion ludique et libératrice. En s’adressant particulièrement à un public adulte, Jérémie Périn s’affranchit des contraintes graphiques liées à la violence. Pour le reste, sa thématique est universelle et proche de Blade Runner. L’appui indispensable des producteurs de « Everybody On Deck » et du studio d’animation « Je suis bien content » ne pouvait donc que l’encourager à explorer le penchant cérébral de la science-fiction. En choisissant opportunément les lois de la robotique, établies par Isaac Asimov, comme point d’ancrage dans un monde qui dépend encore des technologies autonomes, le cinéaste dépeint un récit d’émancipation à la fois rigoureux, merveilleux et impitoyable. L’humanité s’est défaite de ses tâches manuelles les plus laborieuses, les robots sont réduits en esclavage et sont tenus en joue par des lois humaines, rien ne va plus. Même la mort n’est plus une fatalité, car une simple assurance peut vous réanimer instantanément. Et on devient esclave à son tour. Une thématique effleurée dans Avatar : La Voie de l’Eau, brutalement programmée dans RoboCop et brillamment achevée dans A.I. Intelligence Artificielle. “J’ai perdu mon corps et Le Sommet des Dieu ont ouvert la voie à ce Mars Express, nouveau pilier de divertissement animé pour adultes. Ou du moins pour ceux qui sont en âge de mettre en exergue les liens étroits qui distinguent le naturel de l’artificiel. Cette problématique est devenue fondamentale à l’ère du numérique et du synthétique. N’attendez plus pour prendre votre billet vers une destination familière, mais dont les nombreux détours visuels et réflexifs vous hanteront assez longtemps pour ne pas envisager un retour immédiat. |


| 4. Les Feuilles Mortes Deux personnes solitaires se rencontrent par hasard une nuit à Helsinki et chacun tente de trouver en l’autre son premier, unique et dernier amour. Mais la vie a tendance à mettre des obstacles sur la route de ceux qui cherchent le bonheur… Si vous avez déjà vu un film d’Aki Kaurismäki, certains vous diront que vous auriez déjà tout vu chez le cinéaste finlandais. Dans la forme ce n’est pas faux, mais dans le fond, chaque chapitre qu’il nous donne à décortiquer est une redécouverte de son art et de sa poésie. Bien sûr, on reconnaît le teint pâle d’Helsinki, une ville où les citoyens charbonnent à la tâche pour quelques miettes de pain. Ce film n’est pas si différent des autres sur ce point. Il y aborde plusieurs thématiques sociales, dont le prolétariat (Ombres au Paradis, Ariel, La Fille aux allumettes) ou l’immigration (De l’autre côté de l’espoir, Le Havre), quitte à traverser les frontières. Pour son retour à la Croisette, et avec l’aval d’un jury épris de sa tragi-comédie sociale, Kaurismäki ouvre un nouveau chapitre sur une histoire d’amour, d’une grande sincérité et d’une grande sensibilité. La toile de fond d’une société qui tend vers le capitalisme montre une réelle bascule dans un pays en crise économique. Holappa (Jussi Vatanen) en fait les frais, malgré une certaine rigueur dans le tri des aliments ayant dépassé leur date de péremption. Tout comme ces produits invendables en supermarchés, elle est une indésirable d’une société qui grogne pour témoigner d’une hiérarchie obsolète. L’inflation s’ajoute à l’addition corsée de cette femme, qui s’efforce de trouver la sécurité de l’emploi, une utopie prise avec beaucoup d’humour et de désarroi par le cinéaste. Le temps n’est pas celui du cynisme, mais bien de l’amour. Il s’agit sans doute du refuge idéal pour Holappa, une citoyenne anonyme, jusqu’à ce qu’elle croise la route d’Ansa (Alma Pöysti), un ouvrier quelconque parmi tant d’autres. En plus d’être une douce référence à la chanson éponyme écrit par Jacque Prévert et composée par Joseph Kosma, Les Feuilles Mortes est un conte d’une finesse extraordinaire. S’il n’est pas possible de s’évader au-delà des frontières d’Helsinki, il faut admettre que la grande réussite de l’œuvre réside dans son évasion, symbolique et sensorielle. Kaurismäki prouve ainsi qu’il est capable « d’offrir un avenir à l’humanité » avec une histoire d’amour qui n’a de sens que lorsque l’on renonce à sa captivité. |
| 3. Limbo Dans les bas-fonds de Hong-Kong, un flic vétéran et son jeune supérieur doivent faire équipe pour arrêter un tueur qui s’attaque aux femmes, laissant leur main coupée pour seule signature. Si on se sent prêt à accepter l’éternelle souffrance qui nous attend dans le purgatoire après la mort, Limbo suggère que la sentence émerge bien avant dans ce bas monde. Un déluge s’abat alors sur des martyrs qui ne peuvent plus dépendre des institutions ou des lois pour que justice soit rendue. Quel monstre doit-on alors devenir pour faire la paix avec les douleurs que l’on traine ? “Une pluie diluvienne et photogénique s’abat sur un bidonville où l’on rampe, on peine à reprendre son souffle ou on se cache dans une minuscule boîte qui pourrait bien devenir un tombeau. Cette ouverture glace le sang et il y a de quoi, mais cela n’est qu’un avant-goût un peu vain dans la structure narrative, car on comprend rapidement que ce flash-forward n’est qu’un prétexte pour nous annoncer les difficultés qui précèdent cet événement Le film noir de Soi Cheang hausse le ton, ose la provocation et parvient à conjuguer les deux dans un geste rare, où les martyrs continuent d’encaisser les coups. Nerveux jusqu’au bout du suspense, Limbo surprend par son étonnante radicalité et sans réinventer la poudre, il fait bon usage du noir et blanc qui plonge les personnages dans une spirale de violence et de rédemption. Une œuvre sensationnelle qui noie les larmes et le sang dans le même entonnoir de souffrance. À découvrir au plus vite ! |


| 2. Monster (L’Innocence) Le comportement du jeune Minato est de plus en plus préoccupant. Sa mère, qui l’élève seule depuis la mort de son époux, décide de confronter l’équipe éducative de l’école de son fils. Tout semble désigner le professeur de Minato comme responsable des problèmes rencontrés par le jeune garçon. Mais au fur et à mesure que l’histoire se déroule à travers les yeux de la mère, du professeur et de l’enfant, la vérité se révèle bien plus complexe et nuancée que ce que chacun avait anticipé au départ… Un enfant aux yeux de lumière est-il à secourir ou à redouter ? S’il est réellement le Monster que tout le monde décrit, ne s’inscrit-il pas dans le cercle vicieux de nos parents, nos aïeux, nos amis, nos amours ? Ce brillant retour d’Hirokazu Kore-eda sur la Croisette vient nous éclairer sur ces différents points de vue. C’est avec un esprit clairvoyant que Kore-eda nous invite dans la pénombre. Mais pour ne pas perdre son audience dans ce décor semi-bétonné et semi-rural, il prend soin de nous guider aux couleurs de l’incendie, vers lequel tous les protagonistes se tournent sans pour autant distinguer ce mal qui va profondément les atteindre. On retrouvera tout ce qui fait la noblesse de ces grands auteurs, en mêlant intimement le drame familial à la délinquance juvénile, une aire de jeu qui ne demande qu’à être remplie, avant de faire chuter le premier domino sur le suivant. Et n’oublions pas de citer Ryūichi Sakamoto, dont les partitions de Furyo et du Dernier Empereur restent emblématiques après sa récente disparition il y a deux mois. Si le cancer a emporté sa vie, sa musique et son esprit traversent ce film avec une tendresse stupéfiante. L’image est d’autant plus sublimée par les petites notes qu’il pianote, tel un parent qui encourage les jeunes héros à trouver leur voie, malgré l’adversité et malgré l’image de créatures hideuses qu’ils renvoient. Monster d’Hirokazu Kore-eda est assurément le coup de foudre dont on a besoin, qu’il convient de chérir le plus longtemps possible et qui ouvre la compétition cannoise avec une sensibilité qui va droit au cœur. |
| 1. The Fabelmans Un récit semi-autobiographique de Steven Spielberg qui suit un jeune garçon alors qu’il découvre un secret de famille bouleversant, l’amenant à utiliser le cinéma comme manière de comprendre les autres et lui-même. Qui n’a pas grandi avec son « tonton » Spielberg favori ? Les dernières décennies ont été marquées par un monopole conséquent des studios américains à l’international et des auteurs qui y travaillent, mais il n’en existe pas deux comme lui en ce monde. À l’origine des blockbusters, des effets visuels révolutionnaires, notamment dans le développement des animatroniques, Steven Spielberg arrive au croisement de sa propre mythologie. Si on le loue comme un digne héritier de Frank Capra, la performance du cinéaste et auteur a toujours trouvé une issue à la créativité, réinventant ainsi chaque pan classique du cinéma hollywoodien. Ce n’est donc pas pour rien qu’on le redécouvre aussi rêveur et toujours aussi animé par une jeunesse éternelle. Il y a dans ce film tout ce qui nous a rapprochés du cinéma. Steven Spielberg le célèbre ainsi avec élégance, émotion, sincérité et en profite pour hurler tout son amour à ses proches. Sa dernière réalisation transcende alors la réalité, où la nature devient un décor et ses sujets vivants deviennent des personnages, ayant leur propre histoire, leur propre fin et leur propre volonté. À ce jeu, il prouve qu’il domine de bout en bout son sujet, sans pointer du doigt les émotions, reçues avec spontanéité par le public. Son parcours n’a pas à être démonstratif et s’inscrit dans une représentation bouleversante de sa vie et sa culture de l’image. Sa vocation, il l’a donc trouvé dans les salles obscures, dans un premier souffle, un premier frisson, un premier émoi, un premier échec et une première victoire. Tout cela réunit, donne lieu à de la pure fascination, de l’envie, de l’amour… et du cinéma. |

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