Le Hollywood des années 1930 revisité à travers le regard d’Herman J. Mankiewicz, scénariste alcoolique invétéré au regard acerbe, qui tente de boucler à temps le script de « Citizen Kane » d’Orson Welles.

D’un père à son fils

Note : 4 sur 5.

Ce n’est peut-être pas fondamentalement le plus accessible des David Fincher, mais cela fait un bien fou de le retrouver dans un projet envers et contre tous. Il n’y aura pas nécessité de se familiariser avec Citizen Kane, dont le film développe la moelle épinière même de son scénario, pour en comprendre la substance et l’hérésie de la création, à l’époque du Hollywood des années 30. Mais c’est un double hommage auquel nous avons à faire et il s’agira de scénaristes que l’on aurait tendance à oublier. Jack, le père du cinéaste, vit à travers ce film à son récit qui dévoile bien des aspects ténébreux dans le parcours d’Herman Mankiewicz. Tous les deux se sont battus pour s’affirmer comme l’un des rouages les plus essentiels à la réussite d’une œuvre cinématographique. Et tout le débat se concentre ici et s’éparpille par là, au détour d’un intérêt primordial, qui soulève ainsi la pertinence de ce que représente un auteur, au centre d’une machinerie sans concessions.

On donne finalement un visage, une personnalité et une âme à la silhouette de Mankiewicz. Gary Oldman se heurte alors à une figure patrimoniale dont il est nécessaire de comprendre sa morale pour en venir à bout. Il se saisit de son personnage, avec une finesse qui nous replonge dans cette période irrévérencieuse, où les anecdotes se succèdent en flashback. On partage, sans surprise, une narration et un style graphique similaires à ceux qui ont sacralisé Charles Foster Kane. Et de ce point de vue là, il faut bien reconnaître les subtils échos au Citizen Kane qui a révélé le génie d’Orson Welles. Pourtant, il n’est pas question de cet homme, intentionnellement absent dans le récit et le projet même, qu’il monte par la force de son indépendance. L’intrigue constitue ainsi le portrait idéaliste du réalisateur et de la société d’une Amérique, corrompue depuis la haute sphère. Rien n’est inventé, tout n’est qu’un peu plus clairvoyant et translucide pour les spectateurs, ou plutôt les explorateurs des temps modernes, qui ont le pouvoir et la tâche de décrypter ce que chacun exprime avec son cœur.

Le cas de l’homme d’affaires William Randolph Hearst (Charles Dance) et empereur du chaos nous appelle. Il nous incite à modérer la réception des gestes les plus manipulateurs, car même ceux qui ont l’œil attentif peuvent un jour ou l’autre se retrouver sur le bûcher. La mise en scène de Fincher fait encore mouche, pour le plaisir de s’intéresser encore plus à son menu, ludique et intuitif. Rien qu’en isolant la fête de Louis B. Mayer (Arliss Howard), nous comprendrons volontiers que les valeurs de certains peuvent s’avérer indigestes. De quoi plonger tous les arguments de Mankiewicz dans la dépression, jusqu’au paroxysme de la composition. Cette esthétique du noir et du blanc prend ainsi tout son sens, car il s’agit d’un concept que l’on freine avec ferveur aujourd’hui. Pourtant, c’est à la fois une vision cynique du cinéma d’hier comme d’aujourd’hui, car l’héritage de certains a permis d’instaurer les nouvelles conventions que l’on combat dans ce film et les suivants. Mais qu’importent la puissance et la portée des discours les plus vifs, tout prend une nouvelle dimension du moment que l’on reconnaît qui est qui et qui fait quoi dans cette balade privée, intime et agréable au bout de la plume.

Le titre est ainsi à mi-hauteur des espérances et du respect pour un scénariste qui a su détourner le jeu de la politique à travers son récit, couché sur du papier et enfin mis en scène pour l’honneur de nous conquérir. « Mank » démontre que l’on ampute bien plus qu’une partie du nom dans la guerre des idéaux, parfois les plus simples. Mais il sera question d’une honnêteté qu’il convient de replacer son contexte. Un homme qui ne trouve pas sa place dans son monde dérive inévitablement, avec de l’alcool pour l’attester. On recoupe les faits, avec l’artifice graphique des plus étincelants dans l’espoir de nous accorder du recul sur ce qui étouffe, à tort, l’effort collectif ou individuel, au détriment d’une centralisation machiavélique et inconditionnelle. Les cinéastes indépendants peuvent y voir un modèle et un hommage à celui qui n’a pas pu tenir tête à son environnement, trop influent et trop oppressant pour lui. N’est-ce donc pas ironique de découvrir ce dernier Fincher sur une plateforme de streaming, comme gage de sa rétribution ?

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