Avec mélancolie, Sophie se remémore les vacances d’été passées avec son père vingt ans auparavant : les moments de joie partagée, leur complicité, parfois leurs désaccords. Elle repense aussi à ce qui planait au-dessus de ces instants si précieux : la sourde et invisible menace d’un bonheur finissant. Elle tente alors de chercher parmi ces souvenirs des réponses à la question qui l’obsède depuis tant d’années : qui était réellement cet homme qu’elle a le sentiment de ne pas connaître ?


Tapisserie mémorielle

Note : 3.5 sur 5.

Les vacances constituent autant d’occasions de redynamiser les liens qui unissent la famille ou un groupe d’amis qu’un espace qui ouvre les possibilités de réconciliation et de séparation. Pour son premier long-métrage, Charlotte Wells en fait son sujet, dans une brève échappée d’une fille et de son père, qui se cherchent l’un et l’autre, sous un soleil étincelant. Il s’agira alors de savoir s’ils choisiront de se contenter de sa lueur, de sa proximité avec leur peau ou bien de s’y brûler, tels des souvenirs que l’on ne peut pas toujours restaurer. À la force d’enregistrements Mini-DV, le voyage en famille est alimenté par les fantômes qui sont à l’écran et par ceux qui les ont autrefois captés, avec tendresse et sincérité.

Il ne faudra pas bien longtemps pour s’apercevoir que la cinéaste écossaise multiplie les cadres et les reflets, dans le but de contempler la détresse d’un homme, rongé par une culpabilité qu’il traîne depuis son enfance. Calum (Paul Mescal) occupe ainsi les pensées et l’objectif d’une jeune Sophie (Frankie Corio) enjouée, cristallisant ce mal-être qui contrariera d’ailleurs leurs projets ou leurs désirs. Wells filme ainsi leur quotidien, d’un tartinage de crème solaire à un autre, témoignant d’un mouvement qui occulte d’une certaine mélancolie ou d’un plaisir que le cadre devrait pourtant leur offrir. Les parapentes, nouvelles mouettes silencieuses qui peuplent le ciel dégagé d’une cité côtière et touristique de Turquie, ne sont que des signaux périodiques de leur errance mentale. Le champ-contrechamp motive alors une mise en scène qui ne réinvente rien et sombre parfois dans une stylisation qui appuie trop ses atouts émotionnels.

C’est peut-être là, que l’on rencontre les limites évidentes du film d’auteur indépendant, ne sachant pas comment préserver l’intensité de son récit autobiographique. La beauté du geste réside ainsi dans cette rétrospective au sens propre, où l’adulte se transpose quelques fois dans ce corps innocent d’une jeune fille, qui a l’âge de poser de terribles questions et qui cherche malgré tout à sonder l’âme de Calum, qui possède bien plus qu’un plâtre pour ralentir ses élans paternels. On confondrait les deux vacanciers avec un grand frère et sa petite sœur, qui n’hésite pas à se mélanger aux plus âgés, soit dans l’intérêt de mieux comprendre les malheurs de son père, soit de s’en échapper. L’ambiguïté renforce ce sentiment de fuite, que chacun embrassera à sa manière, à défaut de pouvoir enfin se synchroniser.

L’absence qui boucle les derniers instants de « Aftersun » nous avertit ainsi d’une fatalité, propre aux souvenirs et au fantasme d’une vie passée, éphémère et parfois à l’opposé de nos attentes. En filmant une routine, sans détour et en laissant les personnages infuser dans la pellicule, on reste attentif aux potentiels dangers que peuvent rencontrer Sophie et Calum, dans un voyage bien trop calme pour que l’on n’y discerne pas la tempête intérieure qui les oppose. Cette lettre d’amour passe par tous les gimmicks possibles, allant du karaoké aux scènes de danse, dont on a manqué le rendez-vous, donnant incontestablement une saveur particulièrement douce-amère au deuil que représentent ces moments figés et irrécupérables.


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