Russie, 19ème siècle. Antonina Miliukova, jeune femme aisée et brillante, épouse le compositeur Piotr Tchaïkovski. Mais l’amour qu’elle lui porte tourne à l’obsession et la jeune femme est violemment rejetée. Consumée par ses sentiments, Antonina accepte de tout endurer pour rester auprès de lui.


L’amour a ses raisons

Note : 3.5 sur 5.

Comme toute histoire de célébrité, nous avons celle qui illumine les cieux et au-delà, puis celle qui ne réclame qu’un peu de dignité. De retour sur la Croisette, Kirill Serebrennikov démarre la compétition avec une expérience fort et une position politique pertinente, à l’heure où la culture connaît un remous, si elle n’est pas suffisamment censurée pour qu’on ne s’y intéresse pas davantage. Le cinéaste foule d’ailleurs pour la première fois ces marches, où nous l’attendions au sommet. Après « Le Disciple », « Leto » et « La fièvre de Petrov », il est venu donner un sens à la vie privée du célèbre compositeur russe, mais dont il ne sera pas le sujet principal. Toutefois, c’est au crochet de ce dernier, en tant que personne, qu’on dévoilera le revers de la médaille et de l’ombre du saint patriarcat.

La femme ne sera plus que jamais au centre des débats, dont l’une d’elle semble avoir accepté d’être le martyr d’un homme ne fait que repousser le sexe opposé. Le mariage est la promesse d’une passion et l’idéaliste Antonina Miliukova (Alyona Mikhaylova) scrute son alliance avec autant d’appétit que cette foi, qui l’anime et la désintègre de l’intérieur. La première rencontre avec Piotr Tchaïkovski (Odin Biron) rassemble déjà tous les maux d’une société loin d’être paritaire et met en évidence la position inconfortable des femmes, dont la plupart ne cherchent que la sécurité dans une union formelle. Ce point de vue est adopté par le compositeur, qui ne souhaite qu’enterrer ses pulsions homosexuelles sur la scène publique, mais concernant son épouse, ce sera une histoire de mouche qui tourne autour de sa proie, comme si c’était son dernier repas sur Terre.

Elle se nourrit ainsi de ses désirs, à sens unique, car une incompréhension mutuelle les sépare de plus en plus, jusqu’à ce que la fourberie de chacun les étouffe. Tandis qu’elle cherche furtivement un regard complice de son bien-aimé, lui fuit, hésite et se cache dans la lâcheté. Nombreux de ses ambassadeurs établiront le portrait de l’homme derrière le génie. Serebrennikov profite alors de l’élan morbide de la vérité historique pour soigner la somptueuse photographie, d’une froideur implacable. Il flirte sans cesse sur la fine couche qui sépare la rêverie du cauchemar. Il n’y a donc plus que du gras à brûler après en avoir autant emmagasiné. L’héroïne ne lâche pourtant pas prise, même dans ses contradictions et se heurte à une tragédie qui la dépasse. À l’instar du « Lac des cygnes », Antonina est cette muse noire, une veuve de l’éternité, qui souffre de ne pas connaître l’amour réciproque de son prince.

Ainsi, « La Femme de Tchaïkovski » (Zhena Chaikovskogo) est piégée dans son propre fantasme, dans un contre-jour sublime et un cynisme bienvenu. Le metteur en scène évoque habilement les orientations sexuelles d’un pilier soviétique, mais également la chute d’une nation, qui se fourvoie dans ses secrets et par extension, son manque de sincérité. Il hurle à rétablir la vérité derrière un mythe que l’on croyait longtemps intouchable, mais ce qui l’est encore plus, c’est une hystérie silencieuse, où les femmes se laissent consumer par l’illusion du mariage. La rébellion n’est que plus évidente et grâce à l’appui d’une interprète de qualité, le film restera suffisamment magnétique pour rester dans un coin de notre tête.


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