Bella est une jeune femme ramenée à la vie par le brillant et peu orthodoxe Docteur Godwin Baxter. Sous sa protection, elle a soif d’apprendre. Avide de découvrir le monde dont elle ignore tout, elle s’enfuit avec Duncan Wedderburn, un avocat habile et débauché, et embarque pour une odyssée étourdissante à travers les continents. Imperméable aux préjugés de son époque, Bella est résolue à ne rien céder sur les principes d’égalité et de libération…


Bella in wonderland

Note : 4 sur 5.

Yórgos Lánthimos adapte le roman du même nom d’Alasdair Gray, lui-même inspiré du célèbre conte fantastique de Mary Shelley. La créature de Frankenstein a maintes fois été exploitée sans que la tragédie humaine joue à armes égales avec l’environnement ténébreux du scientifique. Pourtant, il existe une approche plus solaire, qu’importe la direction artistique choisie. Le Frankenweenie de Tim Burton en témoigne, avec une infinie douceur. Mais ici, ce qui frappe au premier regard, c’est bien une esthétique qui rappelle justement les décors du cinéaste américain. D’autres y verront du Jean-Pierre Jeunet par-ci, du Terry Gilliam par-là, mais ce que Lánthimos bâtit de mieux dans son « cabinet de curiosités », c’est bien entendu dans l’écriture de son personnage principal. Tapotant des touches de piano avec ses mains et ses pieds, les réflexes de Bella nous intriguent suffisamment pour qu’on en sache plus sur son identité. Ce sera toute la problématique d’un voyage initiatique, telle Alice au pays des merveilles. Et ce pays, c’est bel notre monde, crasseux, cruel et belliqueux.

Savant mélange entre la créature de Frankenstein et Pinocchio, la marionnette de Gepetto, Bella Baxter est une enfant candide et capricieuse à ses débuts, mais lui avoir doté le corps d’une femme adulte lui laisse pourtant tout le loisir de vivre ses aventures dont elle rêvait depuis sa prison morbide à Londres. Cette fois-ci, finit les intrusions en cours d’autopsie, elle va devoir confronter l’humanité dans toutes ses contradictions et toutes ses déviances. Ce monde est un terrain de jeu qui propulse ainsi la jeune héroïne à se découvrir une humanité qu’elle termine de façonner à son image, pas celui de son père créateur (Willem Dafoe), dieu comme elle nous le rappelle avec insouciance. L’usage du fish-eye n’est plus un secret pour le cinéaste grec. Et il en tire de vibrantes sensations dans une exposition qui attend de trouver la bonne mise au point sur un monde sans saveur, sans chaleur, mais avec beaucoup de profondeur.

La relecture du personnage vaut bien évidemment le détour, non pas seulement parce qu’elle verse dans le féminisme, mais plutôt dans une approche ludique et provocatrice de notre société, remplie de conventions qui compriment les pulsions de la demoiselle. D’une cage dorée à une autre, c’est ainsi que les étapes de son voyage sont chapitrées. Mais il faudra patienter le temps d’une révolution colorée, le temps que Bella prenne son élan et nous surprenne de bout en bout. Simple et sans filtre, rien ne semble pouvoir arrêter cette créature jalousée par les hommes. Duncan Wedderburn (Mark Ruffalo) l’apprend à ses dépens. Quant aux autres énergumènes qui feront le zouave sur sa route, seuls ceux qui auront l’ouverture d’esprit et la tendresse nécessaires pour la soutenir auront une chance de rejoindre son cercle familial. Car oui, sans le savoir elle-même, sa trajectoire est circulaire et Bella est amenée à revenir à son point de départ pour affirmer ses changements et son indépendance. Nous pouvons clairement y voir le miroir du monde de Barbie, décrit par Greta Gerwig. Cependant, Lánthimos aboutit à une dissertation plus fournie et convaincante.

D’abord guidée par ses sens primaires, par le goût des bonnes choses, puis par ses pulsions sexuelles, ce qu’elle a acquis de ses rencontres, entre le magnifique et la déception, lui permet de marcher sans trembler, de mettre les mots sur ses pensées et de totalement reprendre le contrôle sur son corps. Et quoi de mieux que de la voir traverser un monde d’hommes qui considère le corps féminin comme sa chasse gardée. Et il y avait besoin d’une comédienne à la hauteur de cette irrésistible Bella. Emma Stone ne démérite en aucun cas les éloges sur son rôle atypique et qui porte les lettres de noblesse d’un cinéma qui se fait rare ces temps-ci. Pauvres créatures hérite également de somptueux costumes et d’un décor expressionniste très complexe si on prend le temps de savourer chaque détail. A côté de ça, le compositeur Jerskin Fendrix fait tout pour amplifier le vertige provoqué par cet esthétique incongru. Mais a fortiori, ces images demeurent gravées dans un récit visuel que Lánthimos orchestre avec brio.

Avec un pitch que l’on peut trouver dans des projets les plus kitschs (Tammy et le T-Rex), ce film parvient à ne pas sombrer dans le nanar. Après Canine, Mise à mort du cerf sacré, The Lobster et La Favorite, Yórgos Lánthimos nous invite à partir à la conquête du monde aux côtés de Bella, qui contemple de près, et avec une lucidité souvent hilarante, ces pauvres créatures piégées dans leurs propres désirs. Même si l’on peut regretter quelques longueurs dans son épilogue, nous ne pouvons que saluer cette note de tendresse qui boucle un voyage d’apprentissage et la renaissance d’une femme.


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